Mon propos va être surtout
de dire qu'aujourd'hui en 2000 la France présente de bonnes
conditions économiques pour permettre l'éclosion d'un secteur
associatif dans le domaine de la télévision. Il va aussi être,
en dépassant un peu le rôle de l'économiste, de dire ce qu'on
peut attendre d'un tel secteur.
Un des
articles de la loi adoptée en première lecture
a permis d'évoquer la mission attendue de services associatifs,
au sujet des radios associatives : favoriser la communication
sociale de proximité, le soutien au développement
local et la lutte contre l'exclusion. La même définition
restrictive est en train d'être retenue pour les télévisions.
Mais le titre de notre colloque ne reprend pas le terme d'association
et fait appel plutôt au terme de tiers-secteur. Le tiers-secteur
est en effet beaucoup plus large que les seules associations
déclarées selon la loi de 1901. Il inclut également
les mutuelles qui dominent aujourd'hui en France le marché
de l'assurance et le marché bancaire, et les coopératives
qui sont une forme de société qui rencontre actuellement
un certain succès. Le lien commun entre ces différents
statuts, qui relèvent tous de ce qu'on appelle l'économie
sociale, est de ne pas rechercher la distribution de profits.
C'est un secteur privé à but non-lucratif qui
en outre veut respecter des conditions démocratiques
de fonctionnement : libre accès de chacun aux structures
selon des principes équitables et participations de tous
aux décisions selon le fameux principe "un homme
une voix".
Est-ce
que cela a un sens aujourd'hui dans le domaine des médias
qui sont des lieux privilégiés de discussion et
de diffusion des opinions ? Je crois que c'est répondre
par la négative qui pourrait surprendre, tant depuis
longtemps la relation entre l'argent et les moyens matériels
de diffusion de l'information est jugée néfaste
pour le bon exercice de la démocratie. Depuis le XIXe
siècle, le capitalisme s'est largement approprié
la presse. Dans le domaine de l'audiovisuel, il y a eu ce même
ravissement d'une brutalité redoutable depuis deux décennies
et qui a occasionné beaucoup de ces coups d'état
médiatiques qui ont même porté des propriétaires
de sociétés de télévision à
la tête de certains pays.
La gauche
aujourd'hui s'apprête à corriger (ce n'est pas
pour la première fois) une loi un peu honteuse promulguée
en 1986 et qui visait entre autres la privatisation de TF1.
La plupart de ces améliorations sont aujourd'hui bienvenues,
mais nous sommes loin de retrouver l'esprit de la loi de 1984,
loi dite "anti-Hersant", abrogée par le gouvernement
de 1986 et qui garantissait certaines règles de pluralisme.
On est surtout encore plus loin de l'esprit de la Libération,
lorsqu'après 1945 on tentait dans ces mêmes lieux
la mise au point d'un statut de la presse pour garantir que
ne puisse pas revenir l'époque de vénalité
et de dégradation politique qu'avaient connus la plupart
des moyens commerciaux d'information de l'entre-deux-guerres.
Cette volonté fut par exemple déclarée
dans une charte adoptée par les éditeurs eux-mêmes
de la Fédération nationale de la presse française,
à la fin de 1945 : "La presse n'est pas un
instrument de profit commercial. C'est un instrument de culture.
Sa mission est de donner des informations exactes, de défendre
des idées, de servir la cause du progrès humain.
La presse ne peut remplir sa mission que dans la liberté
et par la liberté. La presse est libre lorsqu'elle ne
dépend ni du gouvernement, ni des puissances d'argent,
mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs".
Instituer aujourd'hui un tiers-secteur audiovisuel, alors que
la télé est devenu un média dominant, participe
de ce même projet d'indépendance de l'information,
de pluralisme de l'expression et même de souveraineté
des moyens de formation de la culture nationale.
La réforme
des médias n'était pas au programme de la gauche
plurielle de 1997. À l'heure où ce sont des opérations
de fusions de firmes multinationales qui décident de
l'identité de ceux qui contrôlent les moyens de
culture et de communication, il n'est pas trop tard pour réserver
un meilleur espace de liberté à l'activité
médiatique. Je formulerais trois propositions nouvelles
pour aller dans ce sens. Je tenterais aussi de corriger trois
erreurs d'appréciation souvent exprimées par certains
de nos parlementaires et même par le ministère.
Première
proposition
Instaurer comme condition impérative pour la délivrance des
autorisations de services audiovisuels l'existence de sociétés
de rédacteurs
L'effet
de ces sociétés, sociétés de rédacteurs
ou encore d'employés, est simple. Il est d'établir
au profit des personnels une autonomie de la propriété,
comme dans les coopératives qui existent dans de nombreux
secteurs. C'est cette autonomie de la propriété
qui peut garantir pour les médias le plus sûrement
une indépendance éditoriale. Beaucoup d'entre
nous lisent Le Monde qui appartient à ses rédacteurs
et à ses lecteurs et délivre une information quotidienne
de très grande qualité. Dans le domaine de l'information
internationale, beaucoup ont recours au Monde Diplomatique
qui a pour propriétaire important sa propre société
de lecteurs. Pour l'actualité économique, il existe
un titre très différent des autres, Alternatives
économiques, qui est organisé en société
coopérative de production. Tout le monde reconnaît
l'indépendance éditoriale de ces journaux, qui
rencontrent d'ailleurs de plus en plus de succès, et
personne ne doute que cela soit due à l'organisation
originale de leur détention. Pourtant, l'intérêt
de ces principes en matière d'audiovisuel est rarement
considérée comme une nécessité évidente.
Entre les deux-guerres, peu après l'apparition de la
radio, on votait au sein des stations de radios associatives.
Il était aussi évident que tous les auditeurs
avaient à voter aussi pour les conseils de gérance
des stations de radio d'État, comme ce fut le cas en
1936. Mais depuis, l'idée d'une gestion démocratique
de l'antenne n'a plus jamais été une préoccupation,
dans le cas de l'audiovisuel privé en tout cas. Il est
pour le moins surprenant qu'en comparaison de la presse et de
la radio, qui comporte de nouveau depuis 1982 des radios associatives,
la télévision qui est le média le plus
élaboré techniquement et le plus utilisé
par la société soit aussi le moins abouti démocratiquement.
Aujourd'hui deux articles de loi vont dans le sens d'une reconnaissance
des principes d'indépendance éditoriale des chaînes.
Les articles 16 et 18 de la loi en discussion proposent que
soient soumises au CSA par les différents candidats aux
autorisations "les dispositions envisagées en vue
de garantir le caractère pluraliste de l'expression des
courants de pensée et de l'opinion, l'honnêteté
de l'information et son indépendance à l'égard
des intérêts économiques des actionnaires
en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés
publics". Cela est évidemment un progrès,
mais cela reste bien insuffisant. D'une part, bizarrement toutes
les télévisions ne sont pas concernées
par ces articles. Sont concernées les radios (au titre
de l'article 29) et les chaînes du câble et du satellite
(au titre de l'ancien 34-1), mais étrangement ne le sont
pas les chaînes hertziennes terrestres nationales (art.
30), c'est-à-dire : TF1, Canal Plus,
M6, qui sont pourtant les filiales de ces groupes dépendant
des marchés publics de l'eau, de l'assainissement ou
des BTP.
D'autre part, pourquoi ne pourrait-on pas imposer ce critère
comme une condition impérative, c'est-à-dire demander
par la loi au CSA de faire respecter l'octroi de pouvoirs véritables
aux sociétés de rédacteurs comme une obligation
pour l'obtention de chaque autorisation de service audiovisuel.
Par exemple, dans le domaine des télévisions locales
et des médias de proximité, que beaucoup envisagent
pour les télévisions associatives, l'on s'apprête
bientôt à distribuer un grand nombre d'autorisations
d'exploitation de fréquences. Or, il y a déjà
en matière de presse écrite beaucoup de monopoles
locaux et régionaux pour la presse quotidienne, qui recouvrent
aussi les hebdomadaires régionaux et les journaux gratuits
d'annonces. Demain ces monopoles vont s'étendre à
la télévision locale et donc au contenu de l'information
audiovisuelle locale, cela même dans les régions
où le groupe Hersant combattu jadis par la loi
de 1984 existe et s'est depuis développé, comme
dans le Nord, avec maintenant le soutien de fonds de pension
américains. Dans ce contexte, il ne serait pas exagéré
que l'on s'assure de la place déterminante de sociétés
de rédacteurs en position de décider de la politique
d'information au sein de toutes les nouvelles télés,
mais aussi au sein des anciennes au moment du renouvellement
de leur autorisation. On pourrait même appeler cette nouvelle
règle, afin d'effacer de mauvais souvenirs, la règle
du mieux-disant démocratique.
Deuxième
proposition
Instaurer évidemment un tiers-secteur de la production et de
la programmation audiovisuelle mais aussi surtout un secteur
coopératif de la diffusion audiovisuelle à l'instar de la presse.
S'il a
peu été question jusqu'à maintenant de
sociétés de rédacteurs ou de lecteurs dans
les médias audiovisuels, c'est peut-être parce
qu'on considérait qu'il s'agissait de médias particulièrement
coûteux. J'en viens donc à la question de la viabilité
économique des médias du tiers-secteur. Tout d'abord,
l'audiovisuel n'est plus une activité très onéreuse.
On ne le dit pas assez : la principale révolution
de l'audiovisuel numérique est sa formidable démocratisation
économique. La chute des prix des matériels est
vertigineuse et n'est pas encore terminée, avec des caméras
professionnelles à moins de 30.000 F, des émetteurs
à 50.000 F et entre les deux des traitements d'image
informatisés très peu coûteux. Ce sont marchés
d'équipement qui continuent de se développer avec
les matériels domestiques et le marché de la diffusion
d'images par Internet. Si bien que certains évoluent
la possibilité de faire des télévisions
techniquement exigeantes avec 5 MF/an, ou alors avec 10 ou
20 MF si l'on veut se rapprocher du budget d'un grand nombre
de chaînes thématiques existantes. Comme cela a
été dit en première lecture du texte de
loi, le rapport avec les budgets de radio est au plus de 1 à 10,
mais de 1 à 10 seulement. Peut-on prélever
de telles sommes par une extension de l'actuel fonds de soutien
à l'expression radiophonique qui rapporte 100 MF/an ?
Peut-on prélever sur les recettes publicitaires de la
télévision dix fois plus, c'est-à-dire 1 MF ?
On peut
répondre d'abord en remarquant que le secteur de l'audiovisuel
est l'un de ceux qui se sont le plus développé
dans l'économie française au cours des deux dernières
décennies. Ses recettes atteignent 50 MdsF par an,
c'est dix fois plus qu'au début des années quatre-vingt.
Le chiffre d'affaires cumulé de TF1, C+
et M6 est de 30 MdsF et doublent tous les cinq ans.
La progression de ce revenu est très largement due à
l'abondance de la publicité télévisée,
qui est celle de tous les catégories de publicité
qui progresse le plus vite, en augmentant assez régulièrement
de 5 % d'une année sur l'autre. Si bien que depuis
1995, le montant des recettes publicitaires de la télévision
dépasse le budget total du ministère de la Culture
et de la communication. Il est aujourd'hui de 20 MdsF, déduction
faite des commissions de régie. Un vingtième de
ces recettes suffirait donc à alimenter un fonds d'un
milliard de francs, susceptible de financer 50 à 100
chaînes du tiers-secteur à raison d'un budget de
10 à 20 MF chacune. C'est-à-dire que la ponction
au sein de la publicité principalement de TF1
et de M6, d'un écran sur vingt suffirait à
alimenter les moyens d'une progression considérable du
pluralisme.
En fait,
compte tenu des autres propositions de la loi Trautmann, il
n'est dans le contexte actuel même pas nécessaire
de procéder à un tel calcul, puisque le montant
de recettes de publicité qui va demain être abandonné
par les chaînes publiques, ceci lorsqu'elles vont réduire
d'un tiers comme cela a été décidé
la durée moyenne de leurs écrans, atteint le montant
d'un milliard et demi de francs. Un milliard et demi, c'est
donc une fois et demi plus qu'il n'en faut pour le tiers-secteur
audiovisuel. C'est donc la possibilité aussi avec 500.000
F en plus du nouveau FSEA de compléter le FSER, le fonds
de modernisation de la presse écrite, mais aussi le budget
de l'AFP et d'autres déficits divers. En ne procédant
pas ainsi, on favoriserait uniquement la progression des chiffres
d'affaires de TF1 et de M6. Celui de TF1
était en augmentation de 3 % il y a deux ans, de
5 % il y a un an, et de 9 % cette année. Le
résultat net de TF1 vient de dépasser le
milliard de francs pour 1999, le montant du FSEA. Sans autre
disposition, il pourra être de deux milliards, perçus
principalement par les actionnaires sans bénéficier
sûrement aux secteur des programmes. Alors que les recettes
étaient de 9 % supérieures, comme ont pu
s'en vanter les responsables de TF1 devant les analystes
financiers réunis le 27 décembre dernier. Le coût
de production de la grille ne progresse durant le dernier exercice
que de 1 % (en réalité 0,8). En somme, sans
appauvrir qui que ce soit dans ce secteur pourtant présenté
en permanence comme moribond, grâce donc aux ressources
dégagées par le secteur public, nous avons donc
aujourd'hui l'opportunité historique de pouvoir lancer
tout un secteur supplémentaire de production et de programmation,
et qui lui ne réservera pas ses excédents aux
marchés financiers.
Quant au
principe du FSEA, il s'agit d'opérer un transfert, qui est déjà
celui en place pour la radio, et qui revient simplement à prélever
une taxe pour occupation commerciale de l'espace public, cela
aux fins de financer en contrepartie le développement d'une
communication sociale démocratique. Finalement, il ne s'agit
de rien d'autre que d'étendre, contre la pollution publicitaire
à la télévision, une éco-taxe de la pensée.
On peut
donc faire vivre très aisément un tiers-secteur
de la télévision en France. Mais est-on condamné
à le faire vivre comme un secteur assisté, sous
perfusion de revenus provenant de transferts ? Les radios
associatives n'utilisent le FSER que pour un tiers de leurs
revenus. Elles connaissent par ailleurs une grande réussite,
par leur nombre d'abord, puisqu'il n'a cessé de s'élever
depuis sa création : en 1990 existaient 300 radios
de catégorie A, en 1993 400, en 1995 500, aujourd'hui
plus de 550, soit près d'une demie-douzaine d'antennes
associatives différentes par département en moyenne.
Ce ne sont pas ces radios qui ont alimenté le marché
noir des fréquences aujourd'hui tant redouté.
Ces radios se sont développées et peuvent au contraire
se vanter d'avoir constitué en se multipliant le meilleur
rempart à la concentration des ondes. Une réussite
financière est parfois possible : 60 environ d'entre
elles bénéficient d'un budget annuel de plus d'un
million de francs.
Si les
radios associatives se portent très bien dans l'ensemble,
comme nous le confirmera je pense Jacques Soncin, le potentiel
pour les télés paraît plus grand encore.
Par les procédés du cryptage, la télévision
peut bénéficier des recettes d'abonnement qui
ont permis le développement du très nombre de
programmes commerciaux à péage. Dans un domaine
aussi vivace que celui de l'image et du son, qu'est-ce qui interdit
demain à des programmes alternatifs, sensibles à
des exigences de liberté de parole et de création,
d'obtenir des recettes d'abonnement en figurant dans les offres
des distributeurs de services à péage, les différents
bouquets ?
Une condition est pour cela absolument nécessaire. C'est
la véritable libéralisation de la gestion de l'accès,
qui consiste en relation avec le client abonné et l'établissement
de la facturation. Les radios du tiers-secteur souffrent aujourd'hui
des monopoles de distribution. Aucune radio associative ne figure
dans l'offre numérique câblée disponible
à Paris, elles ne sont autorisées à exploiter
que 27 % des fréquences hertziennes alors qu'elles
forment 42 % des opérateurs en France. La véritable
liberté du commerce est de pouvoir être distribué
équitablement, pour les uvres de l'esprit aussi
bien que les biens physiques. Or, la diffusion de services par
satellite obéit à un duopole national, la distribution
par câble obéit à des monopoles locaux,
et ce sont de plus les mêmes groupes qui contrôlent
les deux technologies. La diffusion audiovisuelle est donc aujourd'hui
dans un état de concentration plus grand que la grande
distribution. Pour l'audiovisuel, les distributeurs sont de
plus des producteurs et sont d'ailleurs les producteurs dominant
l'ensemble de la filière aval, jusqu'aux marchés
des événements sportifs et de l'économie
du cinéma. Il y a là une entrave majeure à
l'accès au marché que devra sanctionner le conseil
de la Concurrence, dès qu'il en aura la compétence,
et auquel il faudra donc tôt ou tard remédier.
Il existe
un domaine pourtant où ce problème de la libre
concurrence dans la distribution été convenablement
réglé, c'est le domaine de la distribution des
titres de presse, régie par la loi Bichet du 2 avril
1947. Les éditeurs de presse français sont adhérents
de coopératives qui les accueillent librement, organisent
leur distribution selon des principes d'égalité,
ainsi que de solidarité, et procèdent à
des ristournes financières en cas d'excédent de
gestion. C'est un principe similaire qui doit organiser l'exploitation
de systèmes d'accès aux services audiovisuels,
au moment où celle-ci s'étend au support principal
de la réception audiovisuelle, à savoir le numérique
hertzien terrestre. Il faut donc aller plus loin que l'élargissement
de l'accès prévu par l'article 10 bis et
mettre en place des sortes de NMPP de cet accès aux services
audiovisuels, qui s'occuperaient sous forme de coopératives
de moyens de la gestion des terminaux de péage, et qui
pourrait aussi comprendre, si les adhérents le souhaitent,
la gestion groupée des réseaux de diffusion. Ceci
serait la meilleure manière de régler la question
des multiplex numériques hertziens, sans empilement des
décodeurs pour le satellite, pour le câble, et
pour les deux ou trois multiplex terrestres qui seront bientôt
disponibles dans telle ou telle localité.
Troisième
proposition
Pour éviter un contrôle étranger des opérateurs audiovisuels,
décider une privatisation populaire de certaines chaînes privées.
Le député
Laurent Dominati (DL) s'est exprimé au cours de la première
lecture en faveur d'une privatisation populaire de France 2
au profit des employés et pour la plus grande part du
capital, par la distribution en l'espace de cinq ans d'actions
gratuites à tous les foyers qui s'acquittent de la redevance.
Il a dû se tromper : c'est à propos que TF1
qu'il faut décider d'une telle mesure. D'abord, parce
que TF1 ne fait pas de progrès suffisants en matière
de déontologie de l'information. Le 29 décembre
dernier, pour s'exprimer au journal de vingt heures, dans le
cadre d'un micro-trottoir, sur la question d'un boycott de la
firme Total après le naufrage de l'Erika,
était interviewé au volant de sa voiture en réalité
un membre de l'encadrement de Total. Ensuite, il faut
changer le mode de propriété de TF1 parce
que le capital de la firme qui possède TF1, la
société Bouygues, cotée en bourse,
comme la quasi-totalité des programmateurs audiovisuels,
mis à part Pathé, est une société
au capital instable. Il est en venu à représenter
aujourd'hui une sorte de club des grandes fortunes françaises
avec maintenant aux côtés de la famille Bouygues
les familles Pinault et Arnault.
Mais la propriété de ce capital continue d'évoluer,
et on évoque les noms de Deutsche Télécom,
ou de British Télécom, capable d'absorber
le groupe et de prendre au passage le contrôle d'une chaîne
qui est la première chaîne européenne par
son audience. Le problème est plus vaste, puisque le
capital de Suez-Lyonnaise est détenu à
hauteur de plus de 39 % par les fonds de pension anglo-saxons
et celui de Vivendi, leader français de l'édition,
de la presse professionnelle, du cinéma, de la télévision,
de la publicité et des télécommunications
ainsi que des services urbains, de la santé et du tourisme,
est détenu par ces fonds de pension, fin 1997, à
hauteur de 47 %. Faut-il attendre que le seuil de 50 %
soit dépassé (il l'est déjà peut-être),
faut-il attendre que Mannesmann ou Vodaphone fusionne
avec Vivendi, ou que bien AOL-Time-Warner-EMI
avec le concours de Murdoch absorbe purement et simplement
Vivendi, dont la capitalisation boursière est
d'un dixième de l'ensemble ? La loi limitant la
propriété étrangère des médias
parce qu'elle ne s'étend pas aux maisons-mère
ne s'appliquerait pas demain plus qu'aujourd'hui.
Il y a à ce sujet une troisième raison de réformer
la propriété des médias et des chaînes
de télévision, c'est que celle-ci est manifestement
illégale. L'article 36 de la loi de 1986 dispose que
"les actions représentant le capital d'une société
titulaire d'une autorisation relative à un service de
communication audiovisuelle doivent être nominatives".
Or, il n'en est rien, pas plus des sociétés-mère
Bouygues, Vivendi ou Suez-Lyonnaise que
de leurs filiales titulaires des autorisations TF1, Canal
Plus et M6, puisque toutes trois sont des valeurs
de placement cotées en bourse. En faisant des Français
les propriétaires de TF1, on en ferait les véritables
décisionnaires d'une chaîne dont le nom est Télévision
française 1, avec le pouvoir de voter pour des administrateurs
profitant pour leur campagne des moyens médiatiques de
la chaîne, on en fait les dépositaires par des
actions nominatives et incessibles d'un patrimoine qui à
l'instar de la protection sociale, de l'éducation ou
de la recherche correspond à un domaine particulier de
vie sociale. En privatisant de façon populaire ou en
collectivisant TF1, on ne le rendrait pas au secteur
public, mais on en ferait un société de taille
sur les principes du tiers-secteur. N'oublions que le principal
quotidien national, Le Monde, appartient à ses
rédacteurs, le principal quotidien régional français,
Ouest-France, appartient à une association loi
1901, le principal éditeur européen, Bertelsmann,
appartiennent à une fondation aux mains des salariés,
l'une des premières banques mondiales, le Crédit
Agricole, est une mutuelle, et le premier assureur mondial,
Axa, est de même une mutuelle.
Conclusion
Il y a pour résumer des raisons économiques de
démocratisation de l'audiovisuel : avec la diminution
du coût des équipements tant de production que
de diffusion, le droit d'une telle activité pour tous
baisse.
Il y a
des raisons techniques, puisque par un codage numérique,
5 à 6 fois plus d'opérateurs que dans le
passé pourront bientôt occuper le spectre hertzien.
Il y a des raisons politiques urgentes, avec le besoin de corriger
les excès de la concentration, exigée par des
politiques de protection du secteur national, particulièrement
inadaptées puisqu'elles permettent aujourd'hui de livrer
toute cette économie encore plus vite à un contrôle
étranger.
Il y a
des raisons culturelles, pour faire cesser que la domination
du capitalisme dans les médias favorise une médiatisation continuelle
du capitalisme, comme seule forme possible d'organisation de
l'activité sociale.
Tout converge
aujourd'hui vers une libéralisation au sens véritable
de l'audiovisuel. Il ne manque que l'adoption des règles
juridiques appropriées : part des fréquences
réservées à des projets de programmation
à but non lucratif, duplication du FSER en un FSEA, réforme
par un statut coopératif de la gestion de l'accès
aux services audiovisuels, instauration d'un pouvoir de contrôle
des sociétés de rédacteurs, et de plus
collectivisation de TF1. Les mesures à ne pas
prendre seraient des dispositions assimilant le tiers-secteur
avec des canaux para-municipaux largement subventionnés,
des mesures favorisant les chaînes existantes avec l'octroi
en bloc de multiplex et en général le renforcement
d'une domination de la distribution au sein de l'audiovisuel,
qui nuit à son pluralisme et à son développement
économique en entravant la concurrence et en accaparant
les profits.
En 1982,
la gauche a eu la volonté de couper le lien principal entre
le pouvoir médiatique et le pouvoir politique, en installant
une HACA. Aujourd'hui, la gauche plurielle a les moyens de s'opposer
aux trop fortes relations tissés entre les médias et le pouvoir
économique, en votant une loi sur le tiers-secteur audiovisuel.
Dans l'intervalle,
trop de fausses expertises et d'arguments fallacieux ont rendu
confus la perception des principaux problèmes du secteur
de la communication et en ont brouillé les enjeux. Compte
tenu de ces enjeux, messiers les parlementaires, demandez donc
au gouvernement de prendre des risques, car il s'agit là
de prendre des risques pour la démocratie. À ce
compte-là, quelles que soient les déconvenues,
le peuple ne vous en voudra pas.
Christian
Pradié, Université de Valenciennes.