Pour
des médias libres de quatrième type, par OSF
L'essentiel
est invisible pour les yeux...
Etrangement, à
l'aube de ce troisième millénaire, on a pu mesurer
récemment les dégâts causés sur l'environnement
naturel et humain par l'industrialisation effrénée
du vingtième siècle ; modifications climatiques
incontrôlées, pollutions catastrophiques de masse.
Curieusement ces dégâts étaient annoncés,
(prévisibles, prévus) et les états, les
nations n'en ont pas, ou très peu, tenu compte, pressés
sans doute qu'ils étaient par un hyperlibéralisme
économique, assurément prédateur et violemment
antihumaniste.
Si l'eau, la terre,
l'air en ont été affectés, il est un autre
domaine public universel dont on parle peu et qui pourtant est
touché par le même fléau : "les ondes".
Au cur de la virtualisation des pensées, des cultures
voire des économies, les ondes, numérisées,
industrialisées à la vitesse éclair des
convergences des grands groupes "hypermedia", risquent
bien, si on n'y prend garde, d'être le lieu de "catastrophes"
informationnelles, humaines, éthiques, esthétiques,
politiques autrement plus graves qu'une marée noire ou
une tornade.
Au moment où,
en France, se discute une loi sur l'audiovisuel et se prépare
une loi sur la société de l'information, les initiatives
citoyennes ouvertes, communautaires, créatives, d'agencements
collectifs de subjectivités interdiffusés, de
fait au cur d'une résistance à la diffusion
unique d'une pensée marketing "one to one", doivent
être considérées et entendues à leur
juste place politique (prospective).
Les ondes ont depuis
longtemps rythmé l'environnement, les vies privées,
publiques, les uvres des civilisations ; naturellement,
l'éther, la lumière, l'eau, la terre ont vibré
de leurs premiers cris de langage ; les rites religieux,
les actes politiques, les opéras de la cité, de
la tribu, ont ponctué en chants, tam-tams, gongs, appels,
cloches, leurs vies quotidiennes, leurs histoires, leurs croyances.
Les ondes sont pour les humains un bien naturel ancien, un territoire,
un domaine, à la fois intime et public de leur vie en
société.
Ainsi, quasi naturellement,
ces ondes, bien naturel et public universel, sont au cur
de la "révolution" de la société de
l'information qui traverse cette fin de siècle, au cur
de la convergence multimedia des industries des télécommunications,
de l'audiovisuel, de l'informatique, au cur de la financianisation
des grands groupes, au cur de l'accroissement du déséquilibre
Nord/Sud, riches/pauvres.
Et ainsi ces ondes
dont on parle si peu, informées, cybernétisées,
régulées, sont au centre des enjeux, des manipulations
des communications, des interactions, des corruptions, des "chaos",
des images, des sons, des sens, des cultures, de la vie même,
d'ici, d'à côté, et d'ailleurs, pour (le
meilleur) des mondes meilleurs ?
Par câble
sous nos trottoirs, sous nos océans, par propagation
dans l'air que l'on respire, par diffusion satellite dans nos
atmosphères, ces territoires d'ondes (Réseaux
et Interréseaux) aux confins quasi illimités sont
l'objet de tous les soins, de tous les espoirs, de toutes les
convoitises des Nouvelles Technologies de l'Information et de
la Communication du Millenium ... et on en parle si peu !
Sont-ils navigables comme des océans ? Cultivables
comme des terres ? Constructibles ? Gouvernables comme
des vaisseaux ? Comme des empires ? Commercialisables ?
Citoyennisables ?
Nous cacherait-on
quelque chose ? De quoi s'agirait-il ? Est-ce de cela
dont Monsieur Jospin parle en Août 99 : "...Une
profonde mutation qui dépasse largement le champ technologique
pour rejaillir sur notre économie, sur notre culture,
sur notre société tout entière..."
C'est vrai ! De quoi s'agit-il donc ?
"Quatrième
Révolution capitaliste", disait le sommet de Davos, "Quantification
du monde", ajoutait G. Soros, plus récemment JM Billaut
(l'Atelier de Paribas) prédisait une modification profonde
du paysage de l'économie politique sur la base de la
loi de Moore et de la loi de Metcalfe
(1). J. Ralite, sénateur de Seine-Saint-Denis,
après son expérience dans le Metafort d'Aubervilliers
affirme : "... Ils ne veulent ni plus ni moins que notre
tête...", plus anciennement Einstein avait prédit
: "Il y a trois bombes : la bombe nucléaire,
la bombe informationnelle et la bombe démographique."
Ne savait-on pas ?
L'ignorait-on ? Pourtant P. Virilio avait parlé
de "catastrophe informationnelle", P. Quéaux
de l'emprise mondiale de la "dorsale télécom
américaine", D. Duclos de "privatisation
de l'intimité"... De quoi s'agit-il ?
S'agirait-il d'un
mauvais roman de science fiction où l'on verrait M'sieur
Arvouel concevoir en temps réel et en pensée,
grâce à sa puce neuronale intégrée,
des hyperspectacles interactifs globaux, ou M'dame Caupernique
jouer sur toutes les places boursières de la même
façon tandis que dans le même temps le jeune Zapda
continue à lire dans le ciel les signes des ancêtres,
des dieux, et sur la terre les catastrophes sociales, à
la merci de quelque résidu de guerre coloniale ou de
guerre commerciale des nouveaux empires ? S'agirait-il
donc également d'audiovisuel, de convergence ?
Parlons-en de cette
convergence télécommunicante de progrès
quand celle ci s'inscrit dans l'aggravation de la situation
qui fait déjà qu'en un siècle les plus
pauvres sont plus pauvres, plus vite, et plus nombreux, tandis
que les plus riches le sont davantage, et plus vite ! Ne
dit-on pas que le progrès ne vaut que s'il est partagé
par tous (2) ?
Ainsi, lorsque
l'on considère les taux faramineux de développement
capitalistiques des gros opérateurs multimedia américains
et la place centrale prise par les financiers américains
dans la convergence multimedia européenne, peut-on sérieusement
croire à une équitabilité des "échanges"
humains et comment les états, les hommes politiques peuvent-ils
encore résister à de telles pressions écopolitiques
(3) ?
Peut-on s'étonner encore
des chaos naturels, météorologiques, humains, sociaux, politiques,
locaux, globaux ainsi engendrés ?
La France de la cohabitation porterait-elle une politique différente ?
Dans les années
90, Canal+ se Vivendise et Vivendi double son chiffre d'affaires
en moins de dix ans (grâce aux marchés publics ?) ;
l'étendue de ses pouvoirs sur les médias et les
industries de "la vie", son alliance Internet avec AOL
et son récent rapprochement avec Lagardère group
n'en font-ils pas une menace pour la diversité culturelle ?
Dans les mêmes années 90, le plan et les réseaux
câbles initiés par France Télécom
sont jugés non rentables. Pourtant, un peu plus tard,
les groupes UPC et NTL rachètent quelque vingt pour cent
de part de marché du même câble, multipliant
ainsi le prix de la prise par dix !, faisant par là-même
et après coup "crier ici et là au loup" "de
l'entrisme américain" en France.
Par ailleurs, France Télécom partiellement privatisé
double son capital en deux ans et n'a pas mis en uvre
le milliard de francs de 1998 qu'il devait consacrer au développement
du Service Universel, c'est-à-dire des usages sociaux
de la convergence ! Sont-ce là des signes d'une
réelle prise en compte des intérêts publics ?
De quoi s'agit-il
donc ? De quel nouveau "Paradigme", comme disent les
intellectuels... de gauche ?
S'agit-il du bradage
par l'État de nos pensées, de nos imaginaires,
des sons, des sens, des valeurs, virtualisés, mis en
ondes, quantifiés, interactivés, hyperspectacularisés
(avec "gondoles" d'appel comme dans la grande distribution,
et redondance de l'escroquerie sur le sens même du mot "gondole" !) ?
Nos ondes de vie donc, ("l'information c'est vous qui la
vivez, c'est nous qui en vivons", J.E.Moustik), conquises,
taylorisées (My taylor is rich), quantifiées,
recomposées en territoires de spectres privés
à Fréquences industrialisées (4)...
Dans ce mouvement
global local rapide et férocement prédateur, alors
que les instruments de régulation pourtant récents
(CNIL, CSA, ART, etc.) se trouvent plutôt débordés,
comment une loi sur l'audiovisuel et une loi sur la société
de l'information, curieusement séparées, pourraient-elles
ne pas tenir compte, susciter, encourager, soutenir, les initiatives
citoyennes, associatives, coopératives indépendantes ?
Et pourquoi la
République traite-t-elle de façon aussi méprisante
les efforts citoyens indépendants sur le front de la
Cyberculture d'accès public, comme une
sorte de " trou noir " de l'information, de la politique,
de la création, de la vie, permettons-nous un instant
d'imaginer...
Imaginons qu'une
volonté politique existe et porte fortement au seuil
du millénaire le développement de centaines, de
milliers d'OSF, de TV Bocal, de TV Plaisance, d'Altern.Org...
des centaines, des milliers, de coopérateurs multimedia
interactifs, de proximités, d'associations, de communautés,
de créations, d'éducations, de recherches comme
autant de laboratoires "sociaux" du futur
(5) ?
Imaginons leur
inscription forte dans la loi, un fonds de soutien équitablement
abondé ; les énergies, les intelligences
sont au rendez-vous, et l'accroissement rapide de la richesse
des opérateurs de communication doit permettre à
la réelle diversité cyberculturelle que représentent
ces médias libres d'exister.
En 1995, le chiffre
d'affaires de la Publicité en France (dépenses
annonceurs selon l'INSEE) était de 152 milliards de Francs
(hors media compris) et en 1998 les réseaux de diffusion
utilisant le domaine public des ondes, par bandes hertziennes,
câble télécommunication, satellite, drainait
un chiffre d'affaires de plus de 200 Milliards. Un pour
cent de ces sommes seulement permettrait à des centaines
de dispositifs multimédia de vivre, croître, prospérer,
et générerait plusieurs milliers d'emplois : emplois
prospectifs, de haute qualification, de création et de
convivialité, (création de programmes, de logiciels,
d'interaction sociales inédites).
L'introduction
du numérique ne doit pas être le masque idéologique
de l'enrichissement mercantile de quelques grands groupes, sans
développement équitable par ailleurs de nouveaux
langages média et postmédia, de nouveaux agencements
collectifs de subjectivités créatives. Refusons
dans tous les cas l'exclusion d'une société de
l'hyperspectacle qui voudrait nous nicher dans les "cages
à poules" modernes d'un virtuel "compressé",
y compris en personnel, "décalqué" sur un
dix-neuvième siècle foncièrement antipopulaire
et "augmenté" de sa vitesse d'accroissement d'inégalités.
Christian Bourdin,
Michèle Rollin, Ondes sans Frontières