Clôture
par Hervé Bourges, Président du Conseil supérieur de l'audiovisuel
Mesdames et Messieurs,
Je sais que vous êtes
sceptiques. Je sais que vous croyez que le CSA est réticent
à accorder des fréquences aux associations, et
que certains d'entre vous imaginent même que c'est le
premier ennemi du tiers-secteur... Cette perception des choses
repose sur un malentendu, un peu volontaire, parce qu'il est
facile d'incriminer le régulateur, et plus compliqué
de regarder ce qu'il y a dans la loi. Et c'est la raison
pour laquelle j'ai tenu à participer à cette
journée, qui peut nous permettre de mieux nous comprendre,
d'éclaircir les malentendus et de peser ensemble pour
faire évoluer la législation.
Ce colloque marque l'émergence
d'une réalité que la loi ne permettait jusque
là de prendre en compte que de manière exceptionnelle
: la vitalité d'un "tiers secteur" audiovisuel, qui échappe
à la fois aux cadres fixés aux télévisions
commerciales et au service public. Il est important que ce
colloque ait lieu à l'Assemblée nationale, parce
qu'elle seule peut changer la loi, lever les barrières
qui existent, et permettre au CSA, comme il le fait déjà
en radio, de promouvoir et de défendre l'expression associative
en télévision.
Pourquoi l'émergence
du Tiers secteur a-t-elle tellement tardé ? (On
peut juger que c'est bien tard, et la plupart de ceux qui ont
parlé au cours de cette journée l'ont dit) et
que peut-on dire de l'avenir de ce "tiers secteur" ? C'est
à cette double question que je vais tenter de répondre.
1. Les freins d'ordre
institutionnel
Les véritables
freins au développement d'un "tiers secteur" audiovisuel
sont dans la loi. Le CSA est là, comme vous le savez,
pour appliquer la loi. Il n'en est pas le concepteur. La responsabilité
de la législation incombe au gouvernement et au Parlement.
Je ne dis pas cela pour défausser le Conseil supérieur
de l'audiovisuel de ses fonctions propres: je montrerai ensuite
comment nous savons prendre nos responsabilités, pour
défendre les médias associatifs, que ce soit lorsque
nous rendons des avis au gouvernement ou dans la manière
dont nous procédons vis-à-vis des radios associatives.
Mais malgré toutes les impatiences
qui peuvent exister, la loi est la loi, et le rôle
du régulateur est de l'appliquer, en essayant de l'interpréter,
autant qu'il le peut, pour donner satisfaction à toutes les
catégories d'acteurs et pour tenir compte d'une réalité sociale,
économique, culturelle, qui change.
Or nous vivons encore
aujourd'hui sous le régime de la loi de 1986 relative
à la liberté de communication... Et cette loi
réserve à des "sociétés" la
faculté d'exploiter des "télévisions
locales permanentes". Je cite rapidement l'article 30
de cette loi que le Conseil supérieur de l'audiovisuel
est chargé de faire appliquer : "L'usage des fréquences
pour la diffusion des services de télévision par
voie hertzienne terrestre est autorisé par le Conseil
supérieur de l'audiovisuel dans les conditions prévues
au présent article... La déclaration de candidature
est présentée par une société.
Elle indique notamment, etc."
Pour donner malgré
tout une place à des télévisions associatives,
le CSA a trouvé une manière détournée
: l'utilisation de l'article 28-3 sur les autorisations :
"le CSA peut, sans procéder aux appels à candidatures
prévus par l'article 29 ou l'article 30, délivrer
des autorisations relatives à un service de radiodiffusion
sonore ou de télévision par voie hertzienne terrestre
pour une durée n'excédant pas six mois". C'est
grâce à cet article que plusieurs télévisions
associatives ont pu voir le jour.
Mais cette durée
s'entend sans possibilité de reconduction, même
exceptionnelle, et les télévisions associatives
autorisées, acceptent mal, on les comprend, après
avoir mené leur expérience pendant six mois, de
devoir renoncer à la poursuivreÉ Tandis que le Conseil
ne peut pas non plus les reconduire hors du cadre légal...
Un amendement sénatorial,
défendu par Mme Pourtaud, a porté la semaine dernière
de six à neuf mois la durée maximale des
autorisations des radios et des télévisions temporaires :
c'est un premier remède, qui donnera un répit
à certaines associations... Mais il est clair que
la vraie réponse à cette situation de blocage
viendra d'un autre amendement : celui qui ouvrira purement
et simplement aux associations la faculté d'exploiter
une télévision locale permanente.
Cet amendement, particulièrement
si l'on se place dans la perspective du développement du numérique
hertzien, est décisif pour l'avenir du tiers-secteur audiovisuel
: il donne enfin des perspectives légales de développement aux
télévisions locales associatives. Le Conseil supérieur de
l'audiovisuel, qui souhaitait une telle évolution de la loi,
ne peut que s'en féliciter.
De même, l'article
qu'avait introduit l'Assemblée nationale pour le "Canal
associatif" sur le câble a été encore amélioré,
du point de vue du Conseil, par les ajouts qui y ont été
apportés par le Sénat, précisant notamment
qu'une proportion minimale des programmes pourra être
réalisée par une ou plusieurs autres personnes,
physiques ou morales, indépendantes de l'association
éditrice du Canal, et qui en porteront alors l'entière
responsabilité éditoriale.
Je sais que le CSA
a pu être mis en cause, injustement, au cours de cette matinée
ou de cet après-midi. Ces mises en cause témoignent
de la méconnaissance des positions que nous exprimons régulièrement,
à la fois au gouvernement et au législateur, et lors de notre
rapporta annuel. Vous me permettrez de citer par exemple
le passage de la réponse formulée à l'automne par le Conseil
au Livre Blanc sur la numérisation de la diffusion terrestre,
qui remettait en perspective de manière synthétique l'ensemble
des enjeux que je vais aborder : je pense que vous serez d'accord
avec le CSA pour souhaiter que nos avis soient suivis par le
gouvernement et le Parlement...
"Des projets de télévision
locale, correspondant à des formes nouvelles de participation
et d'expression des citoyens (y compris le"libre accès") doivent
pouvoir émerger. Il est ainsi souhaitable que la loi autorise
pour l'avenir les associations à se porter candidates à des
télévisions locales.
Après appels à candidatures, les canaux locaux du câble pourront
également accéder à une plus large exposition par le biais du
réseau numérique hertzien.
La télévision locale ne peut s'affranchir de la lourdeur des
coûts exigés par la production et la diffusion de programmes.
Le Conseil recommande la création d'un fonds de soutien à l'expression
télévisuelle locale et de proximité, semblable au système en
vigueur dans le secteur radiophonique."
Il se trouve qu'aujourd'hui
la loi que le CSA doit faire appliquer est une loi imparfaite,
sur de nombreux points, notamment sur celui des télévisions
associatives. Elle est en cours de discussion entre les deux
assemblées, des améliorations ont été
déjà apportées, à vous de faire
pression, sur vos députés, pour que le Tiers secteur
puisse trouver sa place. Et je vous promets que le CSA ne
sera pas le dernier à accompagner le développement
des télévisions associatives, et leur implication
dans la vie sociale et civique. Mais j'ai parlé de deux
autres freins qui sont en train d'être levés, le
frein technologique et le frein économique, et je veux
en dire quelques mots car ce sont les deux évolutions
qui vont permettre au "tiers-secteur" de se projeter dans l'avenir,
et de ne plus connaître demain la situation de marginalisation
qu'il connaît aujourd'hui.
2. L'évolution technique
La télévision a été pendant
des décennies, et jusqu'à très récemment, une denrée rare :
lorsque je suis arrivé à la tête de TF1, ce n'est pas si vieux,
il n'y avait que trois chaînes en France, aucune ne diffusait
le matin, toutes les trois cessaient d'émettre avant minuit,
et toutes les trois diffusaient à 19h20 le journal régional
de FR3. Il est nécessaire de s'en souvenir, même si cet univers
nous paraît désormais très lointain...
François Mitterrand
fut en 1982 à l'origine de la première grande
libéralisation des ondes hertziennes, avec l'ouverture
de la FM aux radios "libres", et la première répartition
par la Haute Autorité des fréquences entre stations
associatives, stations commerciales nationales, locales, et
grands réseaux généralistes périphériquesÉ
Il fut aussi à l'origine de l'apparition en France des
premières chaînes commerciales, payantes, avec
Canal Plus, et gratuites, avec l'attribution des cinquième
et sixième réseaux, sur lesquels, plus tard, M6,
la Sept Arte et enfin la Cinquième viendraient se loger.
Pourquoi aussi peu de chaînes ? Essentiellement parce
que personne ne concevait l'idée qu'une chaîne
de télévision puisse être autre chose que
nationale et hertzienne.
Mais la technique évoluant,
la rareté des fréquences a aujourd'hui laissé la place à une
relative abondance, les réseaux câblés, d'abord, puis les bouquets
satellite, offrant de plus en plus de place à toute une variété
de chaînes, thématiques, et locales. Nous avons atteint depuis
quelques mois le stade ultime de cette révolution technologique
avec la démocratisation des techniques numériques, qui
ouvrent véritablement le marché de la télévision, d'un bout
à l'autre de la chaîne, depuis la production, la réalisation,
la diffusion jusqu'à la réception des images, qui peuvent même
circuler sur les réseaux téléphoniques, et être diffusées sur
Internet.
La loi audiovisuelle qui
accomplit actuellement son processus de navettes entre l'Assemblée
nationale et le Sénat prévoira les modalités de l'attribution
des fréquences hertziennes à la diffusion numérique
: c'est le dernier pas qui reste à franchir pour que nous passions
d'un paysage audiovisuel étroitement cadré à un paysage audiovisuel
élargi et diversifié au profit de tous Ðet non plus de ceux-là
seuls qui ont les moyens de s'offrir un bouquet de chaînes payantes.
Au moment de franchir
ce dernier pas, nous devons être particulièrement attentifs
à une chose : qu'il aille dans le sens d'une véritable démocratisation
de l'offre, qu'il permette un réel enrichissement du choix de
programmes proposé, et qu'il ne se traduise pas par la confiscation
des ressources de fréquences dégagées au bénéfice des opérateurs
déjà en place.
Je vais m'attarder
quelques minutes sur la diffusion numérique hertzienne, parce
que la manière dont nous choisirons, en France, de la mettre
en Ïuvre, sera très révélatrice de l'idée que nous nous faisons
du paysage audiovisuel de demain, et donc, au delà de toutes
les déclarations d'intention, de la place qui sera accordée
au tiers-secteur audiovisuel. Car demain la diffusion audiovisuelle
hertzienne sera uniquement numérique.
Il est donc essentiel
que l'attribution des canaux de diffusion numérique s'effectue
service par service, en fonction de la nature des chaînes proposées,
et non multiplexe par multiplexe, à des opérateurs de bouquets,
qui seraient ensuite seuls maîtres des programmes qu'ils diffuseraient.
C'est la seule manière d'assurer à des chaînes locales, qu'elles
soient commerciales ou associatives, qu'elles soient publiques
ou privées, un accès équitable aux capacités de diffusion.
Tous les autres systèmes, on le voit sur le câble, comme sur
le satellite, gèlent de fait le parc de fréquences au profit
de quelques groupes qui s'assurent la maîtrise des moyens de
diffusion.
A l'Assemblée
de dire si elle souhaite inféoder la diffusion numérique
aux arbitrages des grands groupes audiovisuels qui se partagent
actuellement les différents marchés de la télévision.
Elle reste libre d'opter au contraire pour une répartition
démocratique des fréquences en fonction de l'enrichissement
qu'apportent les programmes diffusés à la diversité
du choix offert au téléspectateur. Et même
de décider, par exemple, comme le suggère le rapport
Hadas-Lebel, qu'une part importante des ressources de diffusion
nouvelles aille à des programmes gratuits, en clair...
Je terminerai cette réflexion
libre sur la diffusion numérique hertzienne en revenant, justement,
sur la place des radios associatives dans le paysage de la FM.
Il y a aujourd'hui en France des centaines de radios associatives.
Auraient-elles eu la moindre chance d'exister, si en 1982
la loi avait décidé de réserver la diffusion en Modulation de
Fréquence aux quatre groupes radiophoniques qui émettaient alors
sur la France en grandes ondes, Radio France, RTL, Europe 1,
RMC ? Il n'y aurait jamais eu en France ni radios commerciales
locales ni réseaux musicaux, ni radios associatives. Or
c'est cette logique que le Sénat vient d'adopter, en décidant
de réserver la composition des multiplexes numériques hertziens
aux cinq grandes chaînes existantes, et je pense que l'Assemblée
nationale ne saurait le suivre.
Pourquoi y-a-t-il autant
de radios associatives en France ? Parce que le Conseil
supérieur de l'audiovisuel a décidé de
répartir les disponibilités entre toutes les catégories
de radios, et qu'appel aux candidatures après appel
aux candidatures, d'année en année, chaque fois
que le paysage radiophonique évolue et que des fréquences
sont libérées, le CSA en réserve
une part significative aux radios associatives.
Il y a également, il faut
être complet, une autre cause à la relative abondance de radios
associatives en France : c'est l'existence du fonds de
soutien à l'expression radiophonique, dont les subventions permettent
aux radios qui ne font appel à la publicité que pour une part
très marginale de leurs ressources de bénéficier de moyens supplémentaires.
3. Les réalités économiques
J'en viens donc aux réalités
économiques. La télévision coûte cher, et les premiers opérateurs
locaux qui se sont lancés se sont le plus souvent bien vite
brûlé les ailes, alors même qu'il s'agissait souvent de sociétés
commerciales adossées à de grands groupes. Les mésaventures
d'une chaîne comme La Huit-Mont-Blanc nous ont bien montré les
limites financières auxquelles se heurtaient la réalisation
et la diffusion d'une chaîne hertzienne locale, même dans des
régions à forte identité où une telle chaîne parvenait à fédérer
une audience importante.
Les sociétés TLM à Lyon
et TLT à Toulouse survivent dans des conditions économiques
extrêmement précaires... Faire de la télévision, dans
des conditions techniques et professionnelles classiques, avec
la volonté de délivrer un service de qualité, c'était jusqu'à
maintenant un pari bien aventureux. C'est en ce sens
que le CSA n'a pas lui-même poussé à la création de chaînes
locales hertziennes, dont il mesurait combien, sur des marchés
publicitaires restreints, elles auraient de la peine à s'inscrire
dans la durée.
Nous n'avons pas poussé
à la roue, je suis prêt à le reconnaître,
mais nous n'avons pas non plus bloqué le développement
de tels services de télévision locaux :
les appels à candidatures lancés l'an dernier
sur quatre zones sont allés à leur terme et des
chaînes nouvelles ont fait leur apparition dans plusieurs
départements, d'autres appels viennent d'aboutir, d'autres
sont en cours ou vont être lancés prochainement...
Zone par zone, partout où nous avons des demandes,
dès que les conditions de planification du numérique
hertzien nous paraissent réunies, nous ouvrons les fréquences
qui restent disponibles pour des chaînes analogiques locales.
La lecture attentive de la Lettre du CSA permet de mois en mois
de suivre les progrès de ces chaînes hertziennes
locales, qui trouveraient un meilleur équilibre avec
l'ouverture, au secteur de la distribution, de la publicité
sur ces chaînes locales... Le Conseil, je l'ai dit, réclame
cette évolution de la loi depuis 10 ans.
En revanche, parce que les
coûts ne sont pas les mêmes, parce que les recettes
peuvent également provenir d'autres sources, comme les
câblo-opérateurs, le Conseil a soutenu le développement
des canaux locaux du câble, chaînes diffusant des
durées de programmes produits relativement courtes chaque
semaine, reprises sur les offres des réseaux câblés.
Il faut noter qu'actuellement, 60 services locaux
existent ainsi sur le câble, dans des villes ou dans des
agglomérations moyennes, l'initiative en revenant
presque exclusivement aux communes, directement ou à
travers des associations ou des régies para-municipales.
Quels sont les avantages
et les inconvénients des "canaux locaux" du câble,
expérience dont il est possible aujourd'hui de tirer
un premier bilan ? D'abord, leurs avantages tiennent
à leur existence même : partout où
ces chaînes se sont développées, elles permettent
une information et des services de proximité, et elles
contribuent à la vitalité de la démocratie
locale. Mais elles sont limitées dans cette ambition
légitime par une considération objective :
partout les communes assument la double responsabilité
financière et éditoriale des programmes diffusés.
Autant dire que malgré tout leur essor est souvent vu
comme un moyen d'informer les citoyens sur l'action de l'équipe
municipale en place...
Le développement actuel
des canaux locaux du câble ne sera donc à la hauteur des espérances
qu'il peut susciter que si plusieurs conditions sont réunies
: