Le "satellite du pauvre" sera payant
Selon un rapport du CSA, le numérique hertzien gratuit n'est pas viable.
Par Raphaël Garrigos,
Libération
, Médias, du mardi 20 mars 2001

«Trois scénarios
pour la TNT
* L'étude menée par le CSA et l'Idate explore trois scénarios: le premier privilégie les chaînes gratuites (24 contre 7 payantes), le deuxième est intermédiaire (19 gratuites, 12 payantes) et le troisième fait la part belle aux chaînes payantes (15 contre 16 gratuites). Prudents, les auteurs soulignent la démarche "prospective" de cet "outil logistique". Mais ce rapport peut aider à "prédéfinir une répartition gratuit-payant en TNT" et à "comparer le devenir économique des catégories de chaînes". Il sera utilisé par le CSA "comme une assistance à la préparation de l'appel aux candidatures" qui doit intervenir en juillet prochain ...»

*TNT =
télévision numérique terrestre

 

Lire la position de Zalea TV concernant la télévision numérique terrestre

et sa réponse à la consultation du CSA, imposée par la nouvelle loi sur l'audiovisuel

 

 

 

 

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Qu'il était beau, le rêve de M. Paul. A ce téléspectateur moyen, ce "M. Tout-le-Monde" du petit écran, on avait promis 36 chaînes, en majorité gratuites, grâce à l'arrivée du numérique hertzien (1). Depuis le temps que M. Paul se contente des cinq chaînes de base! Un peu méchamment, on lui avait fait comprendre que ce serait le "satellite du pauvre". C'était le choix du gouvernement qui, dans la loi sur l'audiovisuel d'août 2000, voulait "favoriser les services ne faisant pas appel à une rémunération de la part des usagers".

CONFIDENTIEL Las, un rapport confidentiel du CSA, que s'est procuré Libération, fait voler en éclats ce beau principe fondateur du numérique hertzien. Cette nouvelle technologie, explique l'étude, ne sera économiquement viable que si elle privilégie les chaînes payantes. Adieu, donc, la multitude de télés à l'œil. M. Paul va devoir payer pour voir. Un souci supplémentaire pour le gouvernement, qui espérait lui faire un beau cadeau: ce devait être, avait prédit en mars 2000 Catherine Trautmann, alors ministre de la Culture, "une révolution pour les téléspectateurs". On n'en prend pas le chemin.

Intitulé "Outil de simulation du développement du marché de la télévision numérique terrestre", le document est l'œuvre du CSA et de l'Idate (Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe). En quatre-vingts pages, il brosse trois scénarios possibles pour le développement de la TNT (télévision numérique terrestre): "Clair", "Intermédiaire" et "Payant" (lire ci-dessous).
Selon le rapport, c'est en suivant cette dernière hypothèse que "le nombre global de foyers recevant la TNT serait supérieur à celui qui résulterait d'un scénario où l'offre gratuite serait privilégiée". Autrement dit, si la TNT est payante, elle sera reçue par davantage de foyers que si elle est gratuite. Comment expliquer cet apparent paradoxe?
Tout simplement parce que si elles sont payantes, les chaînes feront un effort commercial pour qu'un maximum de téléspectateurs se munissent d'un décodeur ou d'une télévision numérique. "L'hypothèse est faite, détaille le rapport dans son inimitable jargon, que les distributeurs commerciaux (donc en amont les chaînes payantes) accélèrent la numérisation du parc [...] en menant une politique marketing agressive." Car il y a de l'argent à gagner avec la TNT payante: "Malgré le fait qu'un foyer sur trois reçoit [déjà] une offre payante, l'Idate considère que la valeur de ce marché conserve une large marge de développement."

INÉGALITÉS Le rapport souligne tout de même que ce scénario "a pour contrepartie un désavantage social, puisqu'une majorité de foyers paye cette réception (en ayant accès dès lors à deux fois plus de chaînes)". Si le CSA choisit de privilégier cette hypothèse d'un paysage numérique en majorité payant, M. Paul devra donc se contenter d'une quinzaine de chaînes gratuites. Celles-ci y trouveraient leur compte, note le rapport: "Elles seraient moins nombreuses à se partager la ressource publicitaire."

Si M. Paul n'est pas décidé à s'abonner, il devra se rabattre sur les chaînes gratuites et donc sur France Télévision qui proposera la majeure partie de cette offre. Mais là encore, M. Paul peut commencer à se faire des cheveux blancs: "Ne bénéficiant pas de recettes d'abonnement et handicapée par la captation publicitaire, prévient le rapport, chacune des chaînes publiques accumulerait un déficit d'environ 1 milliard en quatre années." Voilà qui promet, alors que le ministère des Finances renâcle devant la perspective d'accorder le milliard indispensable à Marc Tessier, président de France Télévision, pour lancer son projet numérique...

L'étude bat également en brèche un autre pilier du numérique hertzien: le développement de la télévision locale. M. Paul comptait bien que, à cette occasion, son journal préféré se lance dans la télé. Re-las: "Une chaîne privée locale en TNT ne trouverait pas son équilibre", assène l'étude. Ajoutant qu'elle "souffrirait de la lenteur de la montée en charge de l'équipement numérique des ménages". Prévue pour démarrer à Noël 2002, la télévision numérique terrestre ne toucherait dans un premier temps que 55% de la population et n'atteindrait la couverture hertzienne actuelle qu'à partir de 2012. A cette date, le CSA prévoit que 11 à 12 millions de foyers seront équipés pour recevoir la TNT (contre environ 20 millions aujourd'hui pour la télé analogique).

PAS D'EXCLUSIVITÉ Du sombre tableau que brossent le CSA et l'Idate ressort un enseignement majeur: "La possibilité pour les chaînes TNT d'être reprises sur d'autres supports est une condition indispensable pour espérer atteindre le grand équilibre financier à long terme." Il n'y aura donc pas de télés conçues exclusivement pour le numérique hertzien : "Il est évident que les chaînes nouvelles créées à l'occasion du lancement de la TNT chercheront à être distribuées aussi largement que possible sur le câble et le satellite" afin de limiter les risques et d'être plus largement visibles. Ainsi, le CSA et l'Idate évaluent à 17% en 2010 la part de marché publicitaire que pourraient recueillir les chaînes de la TNT si elles sont reprises sur le câble et le satellite, contre 11% si elles ne sont présentes que sur le numérique hertzien. Reste un problème, souligne le rapport, "la banalisation des offres d'un support à l'autre". Si les mêmes chaînes sont diffusées à la fois sur la TNT, sur le câble et le satellite, le grand perdant pourrait être le câble. Présent uniquement dans les villes et doté d'une capacité limitée de chaînes par rapport au satellite, il laissera des plumes dans l'affaire. D'où la tendance actuelle des câblo-opérateurs à se tourner vers la fourniture d'accès à Internet et vers la téléphonie.

(1) Le numérique hertzien, c'est la compression des six fréquences actuelles en trente-six canaux que l'on reçoit sans changer d'antenne, mais en ajoutant un décodeur. retour article

Lire la position de Zalea TV concernant la télévision numérique terrestre et sa réponse à la consultation du CSA, concernant la TNT, consultation imposée au CSA par l'article 45 de la nouvelle loi sur l'audiovisuel (août 2000).