Témoignage
de Karim Latifi, 28 ans, consultant en informatique, Français,
Parisien du XIXe, suite à son passage à tabac par une
dizaine de policiers le vendredi 22 février 2002 dans le XIXe
arrondissement :
« Il est 21 H30, le
vendredi 22 février 2002. Je me rends chez mes parents qui habitent
aussi le XIXe. J'ai invité un ami à diner ce soir-là.
Je suis donc attendu pour le repas. c'est une soirée familiale
importante puisque c'est le jour de l'Aïd El Kébir. Je suis
en voiture, et je suis contraint de m'arrêter au niveau du 28,
rue Rébéval, car des cars de police bloquent la rue. La
concentration de forces de l'ordre y est importante. Je me demande ce
qui se passe. Je descends de voiture, inquiet, afin d'obtenir des renseignements.
J'ai des petits frères et des petites soeurs, et je me sens très
concerné par la vie de mon quartier. A la vue d'une concentration
aussi importante, je me dis qu'il a dû se passer quelque chose
de très grave, j'envisage le pire, qui sait peut-être un
meurtre ! Je m'approche donc du 28, rue Rébéval, et je
vois des jeunes se faire contrôler, je reconnais deux d'entre
eux que je salue, et je demande aux policiers : "Bonsoir, pourriez-vous
me dire ce qui se passe ?", en toute politesse, comme un citoyen qui
s'intéresse à la vie de son quartier. J'entends un : "De
quoi tu te mêles, allez dégages, casses-toi !" , Surpris
et choqué, je demande au policier de me vouvoyer. Intervient
alors un des policiers, qui me demande de me soumettre à un contrôle
d'identité. J'obtempère : "Bien sur, Monsieur !"
Je me fais donc fouiller, de manière assez "appuyé",
et un des jeunes réagit, "pourquoi vous le traitez comme
ça ?". Sur cette remarque du jeune, insultes d'un membre
des forces de l'ordre, "Fermes ta gueule petit con, on t'a pas
demandé de la rammener !" Je lui réponds alors, "Excusez
moi, mais comment voulez-vous que les jeunes vous témoignent
du respect si vous leur parlez de la sorte, et si vous les insultez
! Le respect est quelque chose de réciproque !"
Sur ce, un des policiers me prend
à parti, et me dit "C'est quoi ton probléme, tu veux jouer
aux hommes ce soir ?". Il s'avance vers moi, et me fait reculer vers
un petit escalier qui se trouve à l'angle de la rue Rébéval
et de la rue Jules-Romain. Là, il me pousse dans l'escalier,
je suis déséquilibré, j'essaie désespérément
de me rattraper au mur, et là, il sort sa matraque, me vise à
la tête. Le policier en question mesure plus d'1m90, et doit peser
plus de 110 Kg. Je réussis à éviter le coup de
matraque qu'il veut me porter à la tête, en me protégeant
avec la main gauche. Je suis sauvagement touché à la main
gauche, je tombe dans l'escalier, en essayant de ma rattraper avec la
main droite, mais ma main droite et ma jambe droite frotte les escaliers,
j'ai horriblement mal. J'entends le policier hurler, il se rue sur moi,
la jambe la première, et essaie à nouveau de ma frapper
au visage, mais cette fois-ci avec sa jambe. Je réussis par miracle
à éviter son coup, sa jambe frapppe le sol, entre ma tête
et mon épaule. Je suis térrifié, je sens presque
le sol vibrer entre ma tête et mon épaule, et je commence
à crier au secours. Je me traîne en catastrophe à
quelques métres des escaliers, de peur qu'il me frappe contre
les escaliers. Et là, l'horrible se produit, j'ai l'impression
de vivre un cauchemar. Les policiers se ruent sur moi, je me recroqueville
en me protégeant le visage. Les déluges de coups et d'insultes
commencent. Coups de poings, coups de pieds, coups de matraques, sur
fond de "Sale arabe, espèce de Fils de pute, espèce
de bâtard ..." Je puise en moi ce peu d'énergie
qui me reste, je les supplie d'arrêter, leur dit que je suffoque,
que je suis asthmatique, rien n'y fait, le déluge de coups continue.
Cela fait plus d'une minute que
je suis sur le point de perdre connaissance, et je n'ai plus en moi
la force de crier, c'est alors que cessent les coups. On me relève
le visage, certains se délectent du spectacle de mon visage tuméfié,
à moitié inconscient. On me passe les menottes, j'agonise,
je souffre le martyr, mais je n'ai plus en moi la force de me plaindre,
je leur murmure "vous allez me casser les poignets". Ils me
menottent en serrant les menottes jusqu'au dernier cran. Je sens le
fer des menottes me pénétrer les os. Je titube, cherche
en moi la force de lever un pied devant l'autre. Un des policiers s'approche
de moi, et me dit "Espéce de petit connard, lèves
les pieds quand tu marches, arrêtes de les traîner par terre,
et puis regardes-moi quand je te parle, t'as compris, je veux entndre
OUI MONSIEUR, t'as compris OUI MONSIEUR !". Je murmure "OUI
MONSIEUR !". On me ramène quelques mètres plus
haut, près des escaliers où mon drame, mon cauchemar avait
commencé, et là on me plaque contre le mur, "Allez
colles ta sale face contre ce putain de mur, embrasses le mur, lèches
le mur, espèce de bâtard ! Alors tu veux jouer aux hommes
ce soir !"
On me traîne, ou plutôt
je me traîne, jusqu'au car vers lequel on me demande de me diriger,
"Derrière moi, le même policier en manque de "OUI
MONSIEUR", qui me demande de répéter cette phrase
qui résonne encore aujourd'hui en moi à chaque instant,
à chaque minute du jour et de la nuit, m'interdisant de trouver
le sommeil, et d'oublier ainsi ne serait-ce que quelques heures, quelques
minutes ce cauchemar que j'ai vécu ce soir-là, ce vendredi
22 février 2002, qui restera à jamais gravé
dans ma mémoire, et qui continuera à hanter mes nuits
pendant longtemps encore. J'ai cru que j'allais y passer ce soir là.
Ma vie ne tenait plus à rien, elle était entre les mains
de ceux dont la mission est d'assurer ma sécurité, et
de veiller au respect de la justice dans mon pays. Je titube jusqu'au
car de police, j'essaie désespérement de m'asseoir sur
la banquette, je sens alors une main me ramener en arrière, et
j'entends "Où est ce que tu vas espèce de bâtard,
tu crois pas que tu vas t'asseoir sur nos banquettes, espèce
de sale arabe, ces putains de bicots, on les instruit et ils viennent
nous casser les couilles. Ta place elle est par terre, t'as compris,
j'entends rien". Je réponds "OUI MONSIEUR". Je
suis conduit au commissariat de la rue Eric-Satie près du métro
Laumière. On m'installe sur le banc à l'entrée
du commissariat, toujours menotté, et à moitié
inconscient. Je suffoque, j'ai du mal à respirer, je demande
de l'eau. Refus. Après plusieurs insistances, on finit par m'emmener
à un lavabo.
Alertée par un des jeunes,
ma sur appelle le commissariat. Le lieutenant vient alors me voir,
et surprise, c'est la première fois de la soirée que quelqu'un
me vouvoie. J'en retrouve presque mes esprits. Un policier me parle:
"Ecoutez". Je suis surpris : il me vouvoie. Il me dit : je ne retiendrai
rien contre vous, je vais vous libérer dans 15 minutes. Il me
raccompagne jusqu'à la sortie, je suis toujours à moitié
inconscient, je lui demande où est ce qu'on se trouve, il me
répond que l'on est rue Eric-Satie, prés du métro
Laumière. Il me rend mon sac, et me précise qu'il y a
placé les clefs de mon véhicule, qui a été
garé prés du lieu de l'interpellation. Je le remercie,
il rentre dans le commissariat, et après quelques minutes, alors
que je venais de réaliser que mon cauchemar était terminé,
et que j'étais "libre", je rerentre dans le commissariat
pour demander le nom de la personne qui m'avait raccompagné jusqu'à
la porte, on m'a répondu "Monsieur le lieutenant".
Je marche jusqu'à la rue Rébéval. Je constate que
les policiers ont arrosé ma voiture de gaz lacrymogènes.
A une heure du matin, avec un ami, je suis à l'hôpital
de l'Hôtel Dieu : examens jusqu'à six heures trente. Douleurs
genou gauche, céphalées. Le lendemain, je rends visite
à mon médecin, Bertrand Decour dans le XIXe : il constate
une érosion de la face dorsale, une érosion nasale, un
traumatisme nasal (nez cassé), des hématomes de la cuisse.
J'ai une interruption d'arrêt de travail de 15 jours. Je ne dors
plus, j'ai des insomnies, je ne réalise pas ce qui m'est arrivé".
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temoignage Karim
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les articles parus dans Le Monde daté du 8 mars 2002