Les
voix ordinaires,
La Commune de Peter
Le
pouvoir, qu'il soit militaire ou celui d'un réalisateur
de cinéma, rend docile dimporte qui, fictif ou pas. Nous
sommes encore concernés par les commentaires du consultant
Foucart, par les émissions spéciales de la Télévision
nationale consacrées aux étrangers, Polonais ou
Arabes, par tous les énoncés ignobles qui s'ensuivent
: "tous les -ski de la terre qui envahissent Paris", "dans la
capitale, il y a des Arabes, oui, aussi, qui viennent d'Algérie,
d'Arabie sûrement". Non seulement cette énumération
est ici, dans ce texte, incomplète, mais elle est surtout
trop lourde et laborieuse puisqu'elle oublie l'essentiel : le
mouvement de la caméra de Watkins et les longs travellings
sur les visages des hommes et des femmes, les écrans noirs
et les silences, comme une respiration, juste avant le martèlement
des cartons donnant des informations sur le taux de mortalité,
le prix d'une laitue ou d'une cervelle de chien, sur la politique
d'Hollywood et son indus-trie cinématographique. D'autres
intertitres encore, faits de citations (de Blanqui, de Gandhi)
ou qui présentent des statistiques comparatives entre les
pays les plus pauvres et les plus riches de la planète,
en I870 et en 1997, des cartons qui rappellent lattitude "des
journalistes en costume camouflage Gucci faisant leurs reportages
sur la guerre du Golfe de 1991, depuis leurs hôtels de Bagdad".
Au total, plus de soixante cartons qui, comme les acteurs du film,
jouent un rôle trois au moins, différents. Tout d'abord,
ils informent d'un événement, d'une date, d'un décret.
Ensuite, ils mettent en demeure le spectateur de dégager
le sens en associant les différents textes qu'il lit. Enfin,
ils annoncent ce qui va suivre et ne sera pas montré, ou
plus radicalement, ce qui ne peut pas être montré,
pour des raisons éthiques. Aucune image de cadavres, aucun
voyeurisme, aucun pathos. Aucune compassion (8).
Le carton tient lieu du coryphée dans la tragédie
grecque. Il orchestre et rythme le film. Il déborde et
envahit l'écran jusqu'à saturation quand défile
le long générique de fin sous-tendu par Le Temps
des cerises et une chanson algérienne contemporaine sur
l'exil, la déportation, le cachot, E1 Menfi. On pourrait
presque dire du film de Watkins qu'il s'inscrit dans la tradition
du cinéma muet car, même si la parole vivante est
à l'oeuvre, ce qu'elle dit et ce que l'on entend ressemble
à des cartons lus, tels qu'on les trouve dans le cinéma
d'Eisenstein : "Tous à Versailles", disent les habitants
du XIe arrondissement. "Au palais d'Hiver", peut-on lire
dans Octobre. Le recours à la voix off, au tout
début du film, procède du même ressort. Le
journaliste lui-même précise que ce que la voix va
énoncer fut écrit une fois les prises de vues réalisées:
"Le texte qui suit sera ajouté dans quelques mois", dit-il.
Cette voix va décrire des lieux en les ordonnant: "Au-dessus
des barricades flotte un drapeau", "sur la gauche se trouve ce
qui reste de la mairie", "au-delà de cette table se trouve
une cour de quartier, avec ses mouches et sa fosse d'aisances
et à côté le café où nous avons
filmé les discussions avec les comédiens sur la
révolution et la société contemporaine. Juste
derrière, le mont-de-piété, un système
gouvernemental de (suite)
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8. Rien qu'une image à la
fin du film où l'on voit des cadavres au centre du cour.
Pas de zoom ni de travelling avant. Le plan est éloigné.
La scène n'est ni violente, ni spectaculaire : elle
n'est pas indigne.
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