9. Le Monde diplomatique,
op. cit.
10. Friedrich Wilhelm
Murnau, "Les films du futur". Texte paru en septembre 1928 dans
McCa11's Magazine et traduit de l'anglais par Christian Viviani,
publié dans la revue Positif, n¡ 472, juin 2000, p. 63-65
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Les
voix ordinaires,
La Commune de Peter
prêt
sur gages qui maintenait la classe ouvrière de l'epoque
en état d'endettement permanent." La voix ainsi délimite
un paysage. Elle dessine la géographie des combats qui
ont eu lieu : "Sur cet espace ouvert, hier soir, les corps jonchaient
le sol et un peloton d'exécution gouvernemental tirait
et rechargeait sans cesse." La voix d'Aurélia Petit raconte
ce qui s'est passé et que l'on ne peut voir. Elle décrit,
sur fond d'images vides et dépeuplées, ce qui ne
peut être montré: l'officier des forces versaillaises
condamnant des centaines de communards, le drapeau rouge qui,
avant, flottait sur la mairie du XIe arrondissement. La voix intervient
moins pour suggérer ou évoquer des événements
passés que pour affirmer durement que 1 image porte en
elle un manque, qu'elle n'épuise jamais la réalité
qu'elle est censée représenter. C'est pourquoi l'image,
pour compléter et affirmer le sens, devra s'ad-joindre
la parole proférée et le texte écrit. Dès
lors le récit peut s'engager, et la journaliste de dire
: "Nous vous demandons d'imaginer que nous sommes désormais
le 17 mars 1871." L'image, en noir et blanc, est comme les lieux
qui l'enferment : sobre et dépouillée. Toutes les
scènes ont été filmées en longs plans-séquences.
Le cadre est essentiellement occupé par les visages sur
lesquels la caméra s'arrête ou bien glisse en travellings
latéraux. Les bouches parlent et débattent face
à la caméra-oeil de Watkins et aux mains-micros-oreilles
des deux journalistes de la Télévision communale.
Elles narrent chronologiquement les événements de
la Commune, depuis la tentative avortée de l'armée
régulière pour récupérer les canons
de la garde nationale jusqu'à la "Semaine sanglante" du
21 au 28 mai. Elles disent ce qui, dans les annales du mouvement
ouvrier européen, a été un événement
majeur, mais qui constitue néanmoins l'une des pages les
plus méconnues de l'histoire de France. Peter Watkins,
en donnant justement existence à ces voix ordinaires, affirme
une fois de plus son combat contre la logique mondialiste du cinéma
et de la télévision qui développe une culture
faite, dit-il, "de structures narratives simplistes, de violence,
de bruit et d'actions incessantes (9)".
Malgré les difficultés rencontrées et la
quasi-censure qui entoure son oeuvre, Watkins dit à nouveau
qu'un cinéma de paroles populaires est encore possible.
Dans un texte de 1928, récemment traduit en français,
le cinéaste Friedrich Wil-helm Murnau notait: "Je crois
que les films de l'avenir montreront des personnes plutôt
que des personnalités cinématographiques, l'humanité
au lieu de stars de cinéma populaires (10)."
Le cinéma de Watkins tient cette promesse-là, soixante
et onze ans plus tard.
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