Zalea
TV ou le pari d'une télévision associative nationale
par Mogniss H. ABDALLAH agence IM'média
Article
paru dans la revue Hommes & Migrations n° 1231 - mai-juin
2001
Nouvelles
venues dans le paysage audiovisuel français, les télévisions
associatives ont désormais le droit d'émettre en diffusion
hertzienne analogique et numérique, par satellite ou encore
sur les réseaux câblés. De médias locaux
de proximité, elles peuvent donc prétendre à
une dimension nationale. C'est le cas de Zalea TV. Dès lors,
se pose la question des moyens appropriés, et celle de l'attitude
des pouvoirs publics face à ces "contre-pouvoirs" citoyens.
"Mais
que faites-vous devant la télé ?" Cette interpellation,
gribouillée au feutre effaçable sur la petite ardoise
d'écolier qui pendouille devant l'objectif de la caméra-régie,
se veut délibéremment provocatrice. Les réactions
ne tardent pas: au téléphone, des téléspectateurs
appellent des quatre coins de l'Hexagone, et même d'Algérie.
Ils ont beau être abonnés au câble ou au satellite
dans l'espoir de voir "autre chose", ils disent s'ennuyer ferme
devant une offre pourtant pléthorique de programmes. Et puis
voilà, ils sont tombés sur Zalea TV, "la première
chaîne associative nationale", diffusée depuis le
20 mars 2001 sur CanalSatellite 24h sur 24, et de façon plus
confidentielle en soirée par voie hertzienne sur le canal 36
(région parisienne). A la différence des télés
locales émettant dans des conditions exécrables, la
bonne qualité de réception pour quelques 1,5 millions
de foyers potentiels abonnés à Canalsat est un atout
inédit.
Comme au plus beau temps des radios libres, les téléspectateurs
de Zalea TV interviennent donc en direct à l'antenne et, de
surcroit, visualisent les animateurs in situ. A l'écran,
pas de posture "télévisuellement correcte". Côté
technique, pas d'obsession du "zéro défaut".
Mais, tout en cherchant à bousculer la supposée aliénation
du télé-consommateur, il s'agit de ne pas tomber dans
les travers de la mode canaille "télé trash"
(littéralement: "qui fouille les poubelles"). D'après
sa charte éditoriale, une des raisons d'être majeures
de Zalea est "la démocratisation de l'accès des citoyens
et des citoyennes (sans critère de nationalité) à
l'expression, à la création et à la communication
audiovisuelles (...) avec une attention particulière à
celles et ceux qui sont les plus exclus du droit d'accès à
l'image".
Une
programmation citoyenne sur l'immigration et les quartiers
Parmi ces derniers, figurent les populations issues de l'immigration.
Sans leur être spécifiquement destinés, de nombreux
programmes réguliers ou occasionnels les mettent directement
en scène. On y retrouve notamment les documentaires réalisés
à partir d'un travail d'atelier associant équipe de
tournage et protagonistes filmés, par Vidéorême
(Exil à Domicile et J'peux pas m'envoler, de
Leïla Habchi et Benoît Prin), ou par le collectif lillois
Tribu (l'Escale et Apprentis Utopistes, de Nadia Bouferkas
et Mehmet Arikan). La case hebdomadaire de l'agence IM'média
permet de passer en revue une sélection de son catalogue (Douce
France, la saga du mouvement beur, La Ballade des sans-papiers,
Algérie : Femmes en mouvements, etc.). Il est aussi
beaucoup question du regard des jeunes des cités sur eux-mêmes,
par exemple dans les séries proposées par La Cathode
vidéo ou par l'Oroléis de Paris. A ce propos, Zalea
TV a suivi des jeunes de La Paillade à Montpellier qui, furieux
d'un reportage télévisé présentant leur
quartier comme un ghetto de jeunes maghrébins, ont réalisé
avec l'association Petit il une fiction intitulée La
Fleur du mensonge. Depuis, ils ont pu participer à une
rencontre avec le ministère Jeunesse et sports et espèrent
pouvoir rencontrer le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
A l'antenne également, des débats filmés à
l'occasion de rencontres autour de livres ou de revues liés
à l'immigration (la Bibliothèque du MIB -Mouvement
de l'immigration et des banlieues- avec Yazid Kherfi, auteur de Repris
de Justesse publié aux éditions Syros, les rencontres
des revues à la Maroquinerie organisées par l'association
Ent'revues etc.).
Par
ailleurs, l'équipe de Zalea TV a lancé des campagnes
télévisuelles qui devraient revenir régulièrement
dans les programmes, autour de thèmes qui lui tiennent à
cur, comme la reconnaissance par l'Etat du massacre des manifestants
algériens le 17 octobre 1961, le droit de vote pour les résidents
étrangers, le refus de la double peine ou la régularisation
des sans-papiers.
Un
"accès public éditorialisé"
Malgré une telle programmation autour de l'immigration et des
quartiers aussi diversifiée qu'éclectique, Zalea TV
s'interroge sur la meilleure façon de réagir face à
l'éventualité de nouvelles propositions d'émissions
de type "communautaire", provenant d'associations issues de
l'immigration. En filigrane, on n'échappera pas à la
question des quotas. Rym Morgan, membre fondateur, y semble peu favorable
mais reconnait que c'est un sujet que l'on ne peut évacuer
à coups d'incantations républicaines vertueuses. Calixthe
Beyala, animatrice du collectif Egalité a d'ailleurs pu venir
s'expliquer sur sa véhémente quête d'une "politique
volontariste" à l'écran en faveur des "minorités
visibles". (1)
Pour l'instant, plusieurs projets de télévisions communautaires
ont choisi l'option commerciale (BRTV -Berbères, TRT -Tamouls,
MédiTV - ex Beur TV, etc.), mais en cas d'échec ne risquent-elles
pas de se rabattre sur les télévisions associatives?
Sans compter les nombreux électrons libres communautaires qui
ont déjà proposé leurs services sur d'autres
télés libres. Les émissions en langue d'origine
par exemple, sont considérées avec une appréhension
qui cache mal le soupçon récurrent de prosylétisme
intégriste. Il faut dire que le précédent des
Loups gris (extrême-droite turque) accaparant le temps d'antenne
de la chaîne câblée de libre accès Opfener
Kanal en Allemagne a de quoi alarmer. La révélation
de cette affaire avait provoqué en son temps un grand débat
sur les limites du principe d'"accès public", qui devrait
permettre à tout citoyen de s'exprimer sans contrainte sur
un canal ou une plage horaire du service public réservé
à cet effet. Peut-on tout dire? A partir de quand, et selon
quels critères, le contrôle du contenu devient-il acceptable,
voire souhaitable? Vaste débat, en vérité. On
sait qu'en la matière, le CSA veille au grain. Après
de longues discussions, Zalea a opté pour un "accès
public éditorialisé". La formule, qui consiste à
visionner au préalable les documents proposés et à
vérifier leur conformité avec sa charte
éditoriale, reste discutée. N'est-ce pas la porte
ouverte à une censure déguisée? Un comble pour
un projet qui se targue de diffuser des films "jamais vus à
la télé" pour cause de censure politique. (2)
Zalea TV contourne la difficulté en accordant une importance
particulière à la contextualisation des uvres.
Elle suscite ainsi une implication réciproque entre les auteurs
et l'équipe dans la forme même de la diffusion, et évite
l'écueil du simple robinet à images juxtaposant des
programmes sans cohérence, sans lien aucun d'une émission
à l'autre.
Communication
sociale de proximité et pluralisme télévisuel
Pour autant, pas question de distribuer de manière mécanique
la parole aux différentes parties en présence au nom
d'une prétendue neutralité. "Les télés
libres n'ont pas vocation à être pluralistes, mais à
participer d'un pluralisme télévisuel", répète
Michel Fiszbin, président de Zalea TV et co-fondateur de la
Coordination permanente des médias libres. (3)
Ce pluralisme-là ne saurait se réduire à la politique
de tolérance actuelle pour de petits médias de proximité,
sans moyens réels permettant de se projeter dans l'avenir.
Michel Fiszbin incite à ne pas se laisser "enclaver et étouffer
comme les radios libres", à s'envisager "davantage comme
des ONG au service d'une cause d'intérêt général
que comme des associations locales de vidéastes amateurs".
Cette volonté d'un saut qualitatif de ce qu'il dénomme
le "Tiers-secteur audiovisuel" n'est pas un reniement des expériences
pionnières de Télé-bocal, Ondes sans-frontières
ou autres télévisions de pays (4),
dont la mobilisation commune a permi l'adoption des articles 29 et
30 de la loi Trautman du 27 juillet 2000 reconnaissant les télévisions
associatives. Le réseau national de Zalea est lui-même
composé de projets locaux (Sans Canal Fixe à Tours,
Télé Pangée à Montpellier, Primitivi à
Marseille, etc.). Mais force est de constater que la notion de proximité
se trouve de plus en plus galvaudée. Au point que la presse
quotidienne régionale (PQR) s'empare du créneau dans
l'espoir d'obtenir des fréquences locales.
Le lancement de Clermont-Première est symptômatique à
cet égard. Télévision
locale lancée en octobre 2000, après agrément
du Conseil supérieur de l'audiovisuel, par le quotidien La
Montagne, elle se présente comme la détentrice légitime
de l'information de proximité et comme un gage de pluralisme.
Si une télévision associative avait des velléités
d'émettre, "ce serait un constat d'échec pour nous",
affirme son responsable Gilles Crémillieux. "Cela voudrait
dire que nous n'avons pas accordé assez de place aux associations
dans nos magazines". (5)
Comment
assurer la viabilité économique des télés
libres ?
Avec un investissement initial de 7 millions de francs, un budget
annuel de 12,5 millions et des publicités quotidiennes dans
La Montagne, Clermont-Première craint encore la concurrence
des petites associatives! Or ces dernières, elles, se heurtent
toutes au mur de l'argent. Plusieurs devis convergents évaluent
à environ 5 millions de francs le budget annuel nécessaire,
soit ... une journée d'une TV commerciale! Beaucoup spéculent
sur leur capacité de survie, d'autant que la loi Trautman reste
étrangement muette sur les moyens alloués aux nouveaux
médias. Le gouvernement et le CSA, estimant qu'ils ne sont
pas viables économiquement, et donc qu'ils représenteraient
un gouffre financier trop lourd à porter par la puissance publique
s'ils venaient à se multiplier, font la sourde oreille aux
demandes de constitution d'un fonds de soutien à l'expression
audiovisuelle pour les télévisions libres. Ce type de
fonds, qui existe déjà pour les radios associatives
(6),
pourrait être alimenté par une taxe parafiscale sur le
chiffre d'affaires publicitaire des chaînes publiques ou privées
et des opérateurs de téléphonie mobile utilisant
un bien public via les ressources hertziennes. De même, Zalea
TV demande que les frais de diffusion hertzienne, satellitaire et
câblée, en particulier l'acheminement du signal, soient
pris en charge au nom d'une "obligation de transport" - ou
"must carry" - comme cela se pratique dans certains pays anglo-saxons.
C'est le prix public à payer, selon elle, pour l'existence
d'un "contre-pouvoir télévisuel citoyen et indépendant",
à vocation non-commerciale et à but non-lucratif, fonctionnant
sur la base de l'engagement bénévole et de contributions
désintéressées. D'aucuns diront que l'on nage
en pleine utopie. Pourtant, ces critères constituent les bases
mêmes de toute vie associative. L'audiovisuel, serait-ce une
affaire trop sérieuse pour laisser les militants associatifs
s'y immiscer durablement? Après son "aventure" (provisoire?)
sur le satellite qui lui a donné une dimension nationale, Zalea
TV se retrouvera confrontée aux limites ridicules imposées
aux télévisions libres pour leur diffusion en analogique
hertzien. Dans son cas: 62 watts, soit la puissance d'une ampoule
domestique! C'est huit mille fois moins qu'une chaîne nationale
comme TF1 ou France2. En attendant les bouleversements annoncés
avec les télévisions numériques et la redistribution
des fréquences, les télévisions associatives
auront sans doute à cur de se coordonner pour monter
en puissance et pour pérenniser leur existence. C'est le sens
de leur appel à la tenue des premiers Etats-généraux
du tiers-secteur audiovisuel les 26 et 27 mai 2001 à Tours.
1
- cf. Mogniss H. Abdallah, La Télévision citoyenne
à l'épreuve de la discrimination cathodique, Hommes
& Migrations n¡ 1224, mars-avril 2000; Calixthe
Beyala in
Lettre
d'une Afro-française à ses compatriotes, éditions
Mango document, 2000, Paris.
retour article
2 - Parmi
lesquels Afrique année 50 de René Vautier, ou
Pas vu, pas pris, de Pierre Carles. retour
article
3 - in
Libération, 26 avril 2000. retour
article
4 - Celles-ci,
en partie regroupées dans Paris Accès Public, ont reçu
plusieurs autorisations pour émettre trois heures par jour
sur le même canal 36 attribué à Zalea TV. retour
article
5- in
L'Humanité, 14 février 2001. retour
article
6 - Hommes
& Migrations n° 1230, mars-avril 2001. retour
article
par
Mogniss H. ABDALLAH agence IM'média
Article paru dans la revue Hommes
& Migrations n° 1231, mai-juin 2001