Le nouveau contrat associatif
Par Jacqueline Costa-Lascoux,
directrice de recherches au CNRS-Cevipof et vice-présidente de la Ligue de l'enseignement.
Libération
, Tribune du mardi 20 mars 2001

« Aujourd'hui, c'est le mouvement associatif qui irrigue le débat d'idées et recompose le politique, du local à l'international. »

Le parti, le syndicat et l'association sont les trois piliers de la démocratie, et l'édifice s'effondre si l'un des piliers est minimisé au profit des deux autres. Les Français aiment leur maire. Ils votent aux élections municipales plus qu'à toute autre élection. Mais on a oublié de dire que les citoyens qui se sont impliqués de façon déterminante sont d'abord les associatifs (1). Les partis sont en mal d'adhérents, les syndicats mobilisent au coup par coup, les Eglises ne pèsent plus guère sur les suffrages. En revanche, les activités associatives dessinent les nouveaux reliefs de la participation. Les citoyens ne sont pas désenchantés de la politique; ils veulent simplement juger les élus à leurs actes plus qu'à leurs paroles; ils aiment agir sur le terrain dans la continuité et ils sanctionnent, pour cela, les "parachutés" et les "cumulards".

L'association anime la vie démocratique. Ce n'est pas seulement un effet de mode du centenaire de la loi du 1er juillet 1901; elle est une liberté fondamentale, intégrée à la Constitution comme les droits de l'homme et du citoyen. A l'inverse des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, où les associations n'ont pas de statut juridique défini (les voluntary associations américaines font référence aux seuls droits d'expression et de réunion garantis par le premier amendement de la Constitution, quand les charities britanniques reposent sur le droit coutumier et non sur la loi), en France, la liberté d'association a été élevée au rang de principe constitutionnel, comme la laïcité.

Dès ses origines, le modèle associatif laïque, en favorisant la participation individuelle au bien commun, s'est voulu un lieu privilégié de rencontre du privé et du public. Tous ceux qui ont tenté de réformer la loi de 1901 ont suscité de vives oppositions, tel Raymond Marcellin en 1971, prônant un contrôle préalable du juge sur la "licéité" de l'objet des associations. En revanche, une réforme s'est révélée capitale pour la démocratie: la loi du 9 octobre 1981, qui leva l'autorisation préalable du ministère de l'Intérieur à la constitution d'associations dirigées par des étrangers - la première radio libre, en vertu de la loi de 1981, sera... Radio Beur! Des associations regroupant un nombre important d'étrangers se sont ainsi créées dans des secteurs d'activité très divers: la culture, le sport, la défense des droits de l'homme. Aujourd'hui, le score au premier tour des listes Motivé-e-s à Toulouse ou à Rennes et les candidatures de citoyens issus de l'immigration soulignent l'apport des associations de solidarité à la vie politique.

Ces vingt dernières années, le paysage associatif français s'est considérablement transformé. On assiste non seulement à la multiplication de nouvelles associations et à une diversité croissante des besoins auxquelles elles répondent, mais aussi à une évolution de leurs relations avec le monde politique. Les associations tissent le lien social avec la société civile, elles sont aussi partenaires de l'Etat et des collectivités locales. Elles forment la trame d'une démocratie de proximité.

Selon une enquête du Credoc, huit Français sur dix sont aujourd'hui concernés par la vie associative en tant qu'adhérent, donateur ou bénévole. Il n'y a pas de grande réforme législative qui ne s'appuie sur les propositions présentées par le mouvement associatif. On sait quelle fut l'importance d'ATD-Quart Monde dans la discussion du projet de loi contre les exclusions, celle des associations pour la défense des droits de l'enfant dans la lutte contre la maltraitance, celle des associations antiracistes pour la défense du droit des immigrés ou encore celle des associations pour le droit des femmes dans le combat pour l'égalité dans le travail et la parité en politique.

Doit-on ajouter la vitalité des courants de l'écologie, sans lesquels, désormais, aucun parti ne saurait compter? Les associations diversifient les projets, les activités, les solidarités. Si beaucoup ont une longue tradition, parfois plus ancienne que les partis, elles façonnent une nouvelle représentation du politique. Ainsi, la Ligue de l'enseignement, qui fédère 33.000 associations laïques et qui a été le premier soutien à l'école publique, organise le Salon de l'éducation et contribue à la réflexion sur la citoyenneté.

Le mouvement associatif irrigue le débat d'idées, il suscite l'évolution des mÏurs et des mentalités, car il sait que ce n'est pas la politique qui rebute les citoyens; c'est une certaine vision infatuée et distante de la classe politique. Or, qu'on y prenne garde, les républiques passent, les élus changent, les associations restent! Et elles ont déjà anticipé une Europe de la solidarité, qui s'exprimera dans les élections à venir, qu'elles soient nationales ou européennes. Les associations accomplissent un travail à la mesure des nouveaux enjeux de la mondialisation: la recomposition politique se fait du local à l'international, parce que le dynamisme, l'efficacité et la créativité ont besoin de se construire autour de la diversité.

"Ce n'est pas un hasard, déclarait François Coursin au Conseil national de la vie associative, le 1er juillet 1991, si la vitalité des associations, leur nombre, leur variété, l'étendue de leurs compétences et de leur champ d'action correspondent au degré de démocratie des pays où elles existent. On peut mesurer à l'aune des rapports qu'ils entretiennent avec elles l'authenticité de l'engagement démocratique des gouvernements, des partis politiques et de leurs responsables."

Il est temps d'abandonner l'illusion de la démocratie des sondages d'opinion, pour ouvrir les yeux sur les forces qui tissent un lien social plus dense. Le parti, le syndicat et l'association sont les trois piliers de la démocratie, et l'édifice s'effondre si l'un des piliers est volontairement minimisé au profit des deux autres. L'élection doit être le moment privilégié où la représentation populaire s'arrime au contrat social et exprime la participation active des citoyens. Lire les résultats d'une élection au seul regard d'un rapport de forces partisanes, c'est ignorer que la participation associative anticipe et renouvelle l'engagement politique.

Par Jacqueline Costa-Lascoux,
directrice de recherches au CNRS-Cevipof
et vice-présidente de la Ligue de l'enseignement.
Libération
, Tribune du mardi 20 mars 2001

(1) La Journée du livre politique, organisée depuis dix ans par l'association Lire la politique, et qui a lieu ce samedi 24 mars à l'Assemblée nationale, abordera notamment la question du lien entre associations et politique dans un forum sur les nouvelles formes d'engagement. retour article

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