Michel Fiszbin, au nom des télés associatives:
"Marquer notre refus de nous taire"

Par Raphaël Garrigos,
Libération
, Médias, du lundi 4 mars 2002

Pionnier du combat pour les radios libres, Michel Fiszbin est aujourd'hui président de Zalea TV (pour «Zone d'action pour la liberté d'expression audiovisuelle»). Zalea TV, au nom de la cinquantaine de télévisions associatives, s'en prend aujourd'hui au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui a décidé de ne plus délivrer d'autorisations de diffusion temporaire comme par le passé.

Pourquoi le CSA refuse-t-il d'accorder des autorisations de diffusion aux télés associatives ?

L'argument du CSA, c'est qu'en période de campagne électorale il n'est pas en mesure de vérifier que nous respectons bien les règles du temps de parole entre les candidats à la présidentielle. On se demande alors comment le CSA fait pour contrôler les 500 radios associatives... Nous y voyons une censure. Et puis il est payé pour ça, le CSA! D'autant qu'il n'y a pas tant de chaînes associatives que ça, il aurait donc pu s'organiser... Que comptez-vous faire? Nous, c'est-à-dire l'ensemble des télés associatives, ce qu'on appelle «le tiers secteur audiovisuel», avons décidé de nous livrer à un acte de désobéissance civique fort: à compter du 6 avril, soit deux jours après le début de la campagne officielle, nous allons entamer des diffusions pirates dans toute la France. Il s'agit de marquer notre refus de nous taire pendant la campagne électorale. Ainsi, nous montrerons que l'apport des télés libres au débat démocratique en cours est complémentaire, irremplaçable et intéressant.

Pourquoi le CSA et le gouvernement tardent-ils à prendre des décisions sur les télés associatives?

Parce que nous ne respectons pas la règle du jeu de l'audiovisuel. Une de nos missions, c'est d'être un contre-pouvoir critique audiovisuel, c'est-à-dire critiquer la télé à la télé. Les chaînes traditionnelles véhiculent une énorme pression idéologique, culturelle et sociale. Nous sommes, a contrario, une télé engagée, protestataire, d'action, de mobilisation.

Une télé de gauche ?

Oui, si ces valeurs étaient restées celles de la gauche : la liberté d'information, d'expression, de création. Il n'y a toujours pas en France de réelle liberté d'expression audiovisuelle, comme cela existe dans la presse ou dans la radio. Ça ne pourra exister que si on laisse se développer des chaînes qui n'appartiennent pas aux grands groupes financiers.

Les télés associatives ont obtenu une reconnaissance légale sous l'actuel gouvernement mais pas de moyens pour vivre. Que faire ?

On pourrait étendre le fonds de soutien aux radios associatives aux télévisions. On pourrait aussi affecter aux télés associatives une partie de la redevance audiovisuelle. Car nous remplissons une mission de service public en diffusant des programmes citoyens produits par des ONG, des collectifs, des associations... Il suffit d'une volonté politique.

De combien Zalea TV a-t-elle besoin pour vivre ?

Notre budget prévisionnel de fonctionnement est de 760 000 euros par an. Hors les coûts de diffusion, qui sont exorbitants. C'est là que s'exerce la censure économique. Nous demandons que ces coûts soient pris en charge par les opérateurs commerciaux. C'est ce qu'on appelle le must carry, l'obligation de transport, de la même manière que TPS et CanalSatellite prennent en charge la diffusion des chaînes publiques. Ce n'est qu'à cette condition que les télévisions associatives seront visibles et viables.

Quel bilan tirez-vous de votre diffusion pendant sept semaines sur CanalSatellite en avril 2001 ?

C'était extrêmement probant. Cette expérience a montré qu'il y a réellement un format de télé libre qui mérite d'exister, qu'il fonctionne et que les téléspectateurs sont séduits. Au point que CanalSatellite nous a proposé de nous reprendre de manière permanente. Mais à condition qu'on puisse payer comme toutes les autres chaînes notre transport par satellite, soit 760 000 euros par an. Et nous ne le pouvons pas.

Etes-vous candidat à la TNT (1) ?

Oui, Zalea TV est candidate à un canal national. Nous prenons l'engagement d'être la vitrine du tiers secteur audiovisuel. Nous avons des milliers d'heures de programmes en stock, et financièrement tout est maîtrisable. Sauf, encore une fois, le coût de diffusion. Pour une chaîne nationale sur la TNT, c'est au bas mot 4,5 millions d'euros par an. Vu que la viabilité économique est un des critères du CSA pour attribuer un canal, nous sommes obligés de présenter notre candidature sous la forme d'une chaîne payante. Zalea ne sera pas pour autant une chaîne commerciale mais une télé sollicitant un abonnement citoyen d'un euro par mois.

(1) La télévision numérique terrestre, ce sera, en 2003, 33 chaînes qu'on recevra sans changer d'antenne mais en ajoutant un décodeur.