En juin 1978, dans ces mêmes colonnes, Félix Guattari consacrait un long article sur les radios libres populaires (1). Au-delà de son analyse qui pointait les raisons de cet avènement et anticipait sur ses développements, il insistait sur la nature particulière de cette prise de la parole qui "est porteuse de charges considérables de désir" (2). Vingt ans plus tard, étoffée d'une dimension supplémentaire Ð celle de l'image - une nouvelle "langue du désir" fait irruption dans la société française et lutte pour la création d'un espace audiovisuel non-marchand, non-commercial et solidaire : le Tiers Secteur Audiovisuel. Les télévisions libres, à travers leur émergence, réactivent l'énergie souterraine de "la parole directe, la parole vivante, pleine d'assurance mais aussi pleine d'hésitation, de contradiction, voire de non-sens" (3), étouffées jusqu'alors par quelques ministres ou directeurs de multinationales, présidents d'universités ou flics zélés, ronds de cuir et gardes-chiourmes. D'abord illégales, les télés libres sont sorties de la clandestinité après plusieurs mois de lutte avec la promulgation de la loi de communication du 1er août 2000. Néanmoins, cette reconnaissance symbolique n'a été accompagnée d'aucun effort par les pouvoirs publics pour assurer la visibilité des télés libres et aider à leur viabilité. Mais que sont les télés libres ? D'abord, elles ne s'inscrivent pas dans la logique de l'économie de marché, qui a transformé le programme de télévision en marchandise et les téléspectateurs en consommateurs passifs, mais dans celle de l'engagement volontaire et désintéressé où le programme doit avant tout répondre à un besoin et avoir une utilité sociale, culturelle ou civique et où le téléspectateur est avant tout un citoyen actif. Elles sont un outil d'expression, de création, et de communication accessible à tous. A quoi servent ces nouvelles télévisions ? A s'en servir justement pour agir et faire agir, à montrer et à soutenir la citoyenneté dans tous ses états. Elle est par nature contestataire et subversive puisqu'elle offre une tribune en priorité à ceux qui sont les plus exclus du droit d'accès à l'image. Cette télévision d'action est héritière du cinéma d'intervention sociale et continue le travail de chirurgien qui consiste à racler les couches opaques du cristallin afin de dessiller les yeux et éviter la sévère cataracte que nous impose la sphère médiatico-commerciale. Quels sont les outils dont disposent les télés libres pour agir ? Leurs programmes qui explorent de nouvelles formes esthétiques au service de nouveaux contenus éditoriaux et qui émanent :
En général, ces innombrables programmes valent autant par ce qui les motive et ce qu'ils déclenchent que par ce qu'ils sont. C'est pourquoi ils sont souvent contextualisés et complétés par des échanges entre ceux qui les ont fait et ceux à qui ils sont destinés. Les télés libres sont ainsi ouvertes, participatives et contributives. Les télés libres, en elles-mêmes et par l'impact qu'elles auront sur l'ensemble du paysage audiovisuel incarnent l'avenir de la télévision. Quels moyens d'existence pour les télés libres ? Les télés libres ne sont riches pour l'instant que d'une volonté irréductible, des cotisations de leurs adhérents et des dons des particuliers qui les soutiennent. Elles ont besoin pour fonctionner décemment de 2 à 5 millions de francs par an, étant entendu qu'elle ne rémunèrent pas les programmes qu'elles diffusent car elles n'en font pas un usage commercial et que leur personnel est largement composé de bénévoles. Il serait normal, puisqu'elles prennent en charge une mission de service public délaissée, qu'elles bénéficient de financements publics. Néanmoins, les subventions devront rester minoritaires dans leur financement sous peine de récupération par les institutions. Au titre des financements neutres et pérennes, on peut penser, par exemple, à :
Avec l'apparition des télés libres, une interminable mèche lente vient d'être allumée. Mais, à la différence de la plupart des engins de sabotage utilisés dans les actions de résistance, l'étincelle n'aboutit pas à un unique tonneau de poudre ou à quelques bâtons de dynamite. Dans notre dispositif, la flamme provoque la mise à feu successive de centaines d'explosifs reliés les uns aux autres par une mèche centrale et dont les répercussions sont plus vastes que l'écho lointain de leurs détonations ... Une ... deux ... trois ... mille télés libres ... Ernesto Lupino, pour Zalea TV 1.
Félix Guattari, "Les radios libres populaires", "Rouge", juin
1978. |