Les
principes de la propagande de guerre appliqués à la propagande
de l'OTAN pendant la guerre contre la Yougoslavie
Par
Anne Morelli, professeur de Critique historique à l'Université
de Bruxelles (U.L.B)
Il
y a près d'un siècle, un diplomate britannique qui avait
pu observer de près la création d'informations hostiles
à l'Allemagne dans les officines gouvernementales britanniques
décrivit ces procédés de faussaires à l'Ïuvre
pendant la Première guerre mondiale. Ce livre d'Arthur Ponsonby
expliqua les mécanismes élémentaires de la propagande
de guerre. Ces principes ne sont cependant pas liés à la
Première guerre mondiale, ils ont été appliqués
lors de tous les conflits ouverts et également lors de la guerre
froide. A l'occasion du récent conflit entre l'OTAN et la Yougoslavie,
on a pu vérifier une fois de plus qu'ils forment la base de la
guerre de l'information qui est primordiale, aujourd'hui plus encore qu'hier,
pour gagner l'opinion publique à une cause.
Les
10 commandements de Ponsonby
Les principes
relevés par Ponsonby peuvent être, par facilité, énoncés
en 10 "commandements". Je les énonce ici et nous verrons pour chacun
d'eux dans quelle mesure ils ont été appliqués par
les services de propagande de l'OTAN.
1. Nous
ne voulons pas la guerre
2. Le camp
adverse est seul responsable de la guerre
3. L'ennemi
a le visage du diable (ou L"'affreux" de service)
4. Les buts
réels de la guerre doivent être masqués sous de nobles
causes
5. L'ennemi
provoque sciemment des atrocités, nous commettons des bavures involontaires
6. Nous subissons
très peu de pertes, les pertes de l'ennemi sont énormes
7. Notre cause
a un caractère sacré
8. Les artistes
et intellectuels soutiennent notre cause
9. L'ennemi
utilise des armes non autorisées
10. Ceux qui
mettent en doute notre propagande sont des traîtres
1.
Nous ne voulons pas la guerre
Arthur Ponsonby avait déjà remarqué que les hommes
d'Etat de tous les pays, avant de déclarer la guerre ou au moment
même de cette déclaration, assuraient toujours solennellement
en préliminaire qu'ils ne voulaient pas la guerre. La guerre et
son cortège d'horreurs sont en effet rarement populaires a priori
et il est donc de bon ton de se présenter comme épris de
paix. On a entendu, lors de la guerre contre la Yougoslavie, les dirigeants
de l'OTAN s'affirmer pacifistes. Si tous les chefs d'Etats et de gouvernements
sont animés de semblables volontés de paix, on peut évidemment
se demander innocemment pourquoi, parfois (souvent), des guerres éclatent
tout de même Mais le second principe de la propagande de guerre
répond immédiatement à cette objection : nous
avons été contraints de faire la guerre, le camp adverse
a commencé, nous sommes obligés de réagir, en état
de légitime défense ou pour honorer nos engagements internationaux....
2.
Le camp adverse est seul responsable de la guerre
Arthur Ponsonby avait relevé ce paradoxe de la Première
guerre mondiale, qu'on pourrait par ailleurs sans doute retrouver dans
bien des guerres antérieures : chaque camp assurait avoir
été contraint de déclarer la guerre pour empêcher
l'autre de mettre la planète à feu et à sang. Chaque
gouvernement déclinait haut et fort l'aporie selon laquelle il
faut parfois faire la guerre pour mettre fin aux guerres. Ce serait cette
fois la dernière guerre, la "der. des der.". Les bellicistes les
plus acharnés s'efforcent donc de se faire passer pour des agneaux
et de reporter la culpabilité du conflit sur leur ennemi. Ils réussissent
le plus souvent à persuader leur opinion publique (et peut-être
à s'auto-persuader) qu'ils sont en état de légitime
défense. Je ne tenterai pas de sonder la pureté des intentions
des uns ou des autres. Je ne cherche pas ici à savoir qui ment
ou dit la vérité. Mon seul propos est d'illustrer les principes
de la propagande, unanimement utilisés, et dans le cas de ce deuxième
principe ("c'est l'autre qui a voulu la guerre") il est évident
qu'il a été maintes fois appliqué lors de la guerre
de l'OTAN contre la Yougoslavie. A cette occasion, les gouvernements européens,
légèrement embarrassés devant leur opinion publique
d'être entraînés dans un conflit à propos duquel
les parlements européens n'avaient pas été consultés,
malgré l'obligation constitutionnelle que cela constituait dans
plusieurs pays, utilisèrent largement dans leur propagande l'argument
de l'obligation dans laquelle se trouvaient les pays européens
de se joindre à la guerre. Ainsi en 1999, Christian Lambert, chef
de cabinet du ministre belge de la défense, répond-il à
des étudiants qui lui demandent pourquoi la Belgique a participé
aux bombardements contre la Yougoslavie, que c'est une obligation pour
notre pays, liée à son adhésion à l'OTAN.
Cette réponse est totalement classique à ce moment, mais
ne correspond pas à la réalité. Il y aurait eu obligation
pour les pays européens de participer à la guerre si un
état de l'OTAN avait été agressé, mais ce
n'était évidemment pas le cas dans la guerre de Yougoslavie.
Lors de cette même guerre, le principe de "c'est lui qui a commencé"
a été de fait très largement appliqué par
la propagande occidentale et notamment sous une forme qu'Arthur Ponsonby
avait déjà relevée : l'ennemi méprise
et sous-estime notre force, nous ne pourrons plus rester attentistes,
nous allons être obligés de lui montrer notre force. La propagande
occidentale, en 1999 assure donc que les Yougoslaves défient l'OTAN
et la poussent à répliquer par la violence. Ainsi le quotidien
bruxellois Le Soir écrit-il, le 18 janvier 1999: L'OTAN se retrouve
défiée avec un cynisme stupéfiant: la première
puissance armée du globe pourra-t-elle longtemps justifier son
attentisme L'OTAN assure en outre réagir à une campagne
de "purification ethnique" des Serbes contre les Albanais du Kosovo. Avec
le recul du temps, les expertises internationales de l'OSCE confirment
cependant la thèse inverse : lorsque le 24 mars, l'OTAN commence
à bombarder la Yougoslavie, Belgrade réagit par une campagne
systématique de violence contre la majorité albanaise du
Kosovo. Avant le 24 mars, les violences policières contre des Albanais
du Kosovo n'avaient été qu'isolées, ce n'étaient
nullement des "purifications ethniques" . Mais il fallait, pour convaincre
l'opinion publique occidentale du bien-fondé des bombardements
contre la Yougoslavie, faire croire à une situation de riposte
C'est l'ennemi qui devait porter l'entière responsabilité
de la guerre et plus personnellement son chef. La guerre c'est la faute
à Milosevic qui aurait par ailleurs, dans son intransigeance, refusé
les propositions occidentales de paix à Rambouillet. L'hebdomadaire
franco-belge Le Vif-Express titrait "Le dictateur de Belgrade a une responsabilité
écrasante dans les malheurs des peuples serbe et albanais". L'insistance
sur la personne du chef du camp ennemi n'est pas un hasard. Le troisième
principe de Ponsonby insiste sur la nécessité de personnifier
l'ennemi dans la personne de son chef.
3.
L'ennemi a le visage du diable
On ne peut haïr globalement tout un peuple. Il est donc efficace
de concentrer cette haine de l'ennemi sur le leader adverse. L'ennemi
aura ainsi un visage et ce visage sera évidemment odieux. On ne
fera pas la guerre seulement contre les Boches, les Japs É mais plus précisément
contre le Kaiser, Mussolini, Hitler, Saddam ou Milosevic. Ce personnage
odieux dissimulera la diversité de la population qu'il dirige et
où le simple citoyen pourrait retrouver ses alter ego. Pour affaiblir
la cause adverse il faut présenter pour le moins ses chefs comme
incapables et faire douter de leur fiabilité, de leur intégrité.
Mais, dans toute la mesure du possible, il faut diaboliser ce leader ennemi,
le présenter comme un fou, un barbare, un criminel infernal, un
boucher, un perturbateur de la paix, un ennemi de l'humanité, un
monstre ..... Et le but de la guerre serait dès lors de le capturer.
Dans certains cas, ce portrait de notre ennemi peut nous sembler justifié,
mais il ne faut pas perdre de vue que ce monstre est la plupart du temps
très fréquentable avant le conflit et même dans certains
cas après. Depuis la Seconde guerre mondiale, Hitler a été
considéré comme un tel paradigme du mal, que tout chef ennemi
doit lui être comparé. Ce fut bien sûr le cas de Staline,
Mao ou Kim Il Sung, mais, bien plus récemment encore, tous les
"affreux de service" ont également dû soutenir cette même
comparaison. Il n'en sera pas autrement de Milosevic que l'hebdomadaire
italien L'Espressoprésente en couverture sous le titre "Hitlérosévic",
avec une moitié du visage correspondant au visage de Hitler et
l'autre à celle de Milosevic. Suivant la même mise en scène
et au même moment, Le Vif-Express présente, lors des premiers
bombardements contre la Yougoslavie, une couverture très sombre,
affichant à gauche la moitié du visage de Milosevic et à
droite le titre "L'effroyable Milosevic". Dans le corps de l'hebdomadaire,
au cours d'un texte appuyé de sombres et inquiétantes photos
du dirigeant yougoslave, on apprendra que la capacité de nuisance
de Milosevic est loin d'être épuisée. Celui qui, qui
trois ans plus tôt levait son verre avec Chirac et Clinton, lors
des accords de paix à propos de la Bosnie, signés à
Paris, est un névrosé dont les deux parents et même
l'oncle maternel se sont suicidés, symptômes évidents
d'un déséquilibre mental héréditaire... Le
Vif-Express ne cite aucun discours, aucun écrit du maître
de Belgrade mais par contre relève ses sautes d'humeur anormales,
ses explosions de colère, maladives et brutales : Quand il
était en colère, son visage se tordait. Puis, instantanément,
il recouvrait son sang-froid. Son épouse est une arriviste, une
ambitieuse et une déséquilibrée dont les problèmes
psychologiques remontent au fait qu'elle fut reconnue tardivement par
son père...... Et l'hebdomadaire de conclure : Slobo et Mira
ne sont pas un couple, c'est une association de malfaiteurs. La technique
de diabolisation du leader ennemi est efficace et continuera sans doute
longtemps à être appliquée. Il faut au lecteur et
au citoyen des "bons" et des "mauvais" , clairement identifiés,
et le plus simpliste actuellement est de traiter l'affreux de service
de nouveau Hitler. Quiconque voudrait, non pas prendre sa défense
mais même douter qu'il soit l'incarnation précise du mal,
est immédiatement disqualifié par cette comparaison.
4.
Masquer les buts réels de la guerre sous de nobles causes
Arthur Ponsonby avait relevé pour la guerre de 14-18 qu'on ne parlait
jamais, dans les textes officiels des belligérants, des objectifs
économiques ou géopolitiques du conflit. Pas un mot n'était
dit officiellement sur les aspirations coloniales, par exemple, que la
Grande-- Bretagne en attendait et qui seront exaucées lors de la
victoire alliée. Officiellement, du côté des anglo-français
les buts de la Première guerre mondiale se résumaient en
trois points : -écraser le militarisme -défendre les
petites nations - préparer le monde à la démocratie.
Ces objectifs, très honorables, sont depuis recopiés quasi
textuellement à la veille de chaque conflit, même s'ils ne
cadrent que très peu ou absolument pas avec ses objectifs réels.
Pour la guerre de l'OTAN contre la Yougoslavie, on retrouve le même
décalage entre buts officiels et inavoués du conflit. Officiellement
l'OTAN intervient pour préserver le caractère multiethnique
du Kosovo, pour empêcher que les minorités y soient maltraitées,
pour y imposer la démocratie et pour en finir avec le dictateur.
Il s'agit de défendre la cause sacrée des droits de l'homme.
Non seulement à la fin de la guerre, on peut constater qu'aucun
de ces objectifs n'a été atteint, qu'on est notamment loin
d'une société multiethnique et que les violences contre
les minorités sont quotidiennes, mais encore on se rend compte
que les buts économiques et géopolitiques de la guerre,
dont on n'avait jamais parlé, sont -eux-- atteints. Ainsi, sans
qu'elle l'ait officiellement revendiqué, la sphère d'influence
de l'OTAN s'est notablement élargie dans le Sud-Est de l'Europe.
L'Organisation atlantique s'est installée en Albanie, en Macédoine
et au Kosovo, régions jusque là "rétives" à
son installation. En outre, du point de vue économique, la Yougoslavie,
"rétive" à l'installation d'une économie de marché
pure et simple et qui fonctionnait encore avec un large marché
public, se voit "proposer" à Rambouillet que l'économie
du Kosovo fonctionne selon les principes du marché libre et soit
ouverte à la libre circulation des (...) capitaux, y compris d'origine
internationale. Innocemment on pourrait se demander quel rapport il peut
y avoir entre la défense des minorités opprimées
et la libre circulation des capitaux, mais le premier type de discours
cache évidemment des buts économiques moins avouables. Ainsi
12 grosses sociétés américaines, parmi lesquelles
Ford Motor, General Motors et Honeywell, sponsorisent le sommet du 50e
anniversaire de l'OTAN à Washington au printemps 1999. De manière
totalement désintéressée penseront certains, tandis
que d'autres pensent que c'est "donnant-donnant" et que les bombardements
contre la Yougoslavie en détruisant l'économie socialiste
du pays, ont fait place nette aux multinationales qui rêvaient depuis
longtemps d'y installer un grand chantier et d'y faire de bonnes affaires.
Le porte-parole de l'OTAN, Jamie Shea, annonça par ailleurs que
le coût de l'opération militaire contre la Yougoslavie serait
largement compensé par les bénéfices à plus
long terme que les marchés pourraient y réaliser. Dès
le 3 septembre 1999 le deutsche mark devient en tout cas la monnaie officielle
au Kosovo et l'usine d'automobiles Zastava à Kragujevac, que j'avais
vue en mai, détruite par la frappe de l'OTAN du 9 avril, est dès
le mois de juillet convoitée par Daewoo. Les buts réels
de la guerre n'étaient peut-être donc pas totalement humanitaires,
mais l'essentiel est de l'avoir fait croire au moment du déclenchement
des opérations lorsque l'opinion publique doutait du bien fondé
de cette attaque. On l'a persuadée qu'on allait intervenir contre
des "bandits", des "criminels", des "assassins". C'est aussi là
un des principes élémentaires de la propagande de guerre :
il faut présenter la guerre comme le conflit entre la civilisation
et la barbarie. Pour cela il faut persuader l'opinion que l'ennemi commet
systématiquement et volontairement des atrocités, tandis
que notre camp ne peut commettre que des bavures bien involontaires.
5.
L'ennemi provoque sciemment des atrocités, si nous commettons des
bavures c'est involontairement
Les récits d'atrocités commises par l'ennemi constituent
un élément essentiel de la propagande de guerre. Cela ne
veut évidemment pas dire que des atrocités n'ont pas lieu
pendant les guerres. Tout au contraire, les assassinats, les vols à
main armée, les incendies, les pillages et les viols semblent plutôt
être hélas la monnaie courante de toutes les circonstances
de guerre et la pratique de toutes les armées, depuis celles de
l'Antiquité jusqu'aux guerres du XXe siècle. Ce qui par
contre est spécifique à la propagande de guerre c'est de
faire croire que seul l'ennemi est coutumier de ces faits tandis que notre
propre armée est au service de la population, même ennemie,
et aimée d'elle. La criminalité déviante devient
le symbole de l'armée ennemie, composée essentiellement
de brigands sans foi ni loi. Pendant la Première guerre mondiale,
les Allemands accusaient des pires atrocités les "francs-tireurs"
belges et français qui, bafouant les lois de la guerre auraient
traîtreusement attaqué les soldats allemands et les auraient
trompés par leurs ruses, comme par exemple en leur offrant du café
à la strychnine ! Du côté belge et anglo-français
circulait avec insistance la rumeur selon laquelle les Allemands avaient
systématiquement coupé les mains des bébés
belges. En outre la frayeur de la population belge, suite à ces
rumeurs, déclencha un exode de réfugiés sans précédent.
Un million trois cent mille Belges quittèrent leurs foyers au moment
de l'invasion allemande de 1914. Cet exode des "pauvres réfugiés
belges" et l'épisode imaginaire des bébés belges
aux mains coupées furent utilisés à fond par la propagande
alliée pour faire entrer dans son camp des pays hésitants,
tels que l'Italie. Lors de la guerre contre la Yougoslavie la technique
de propagande est évidemment semblable. Avant le déclenchement
des bombardements William Walker fait circuler la nouvelle que la police
yougoslave aurait massacré des civils à Racak en janvier
1999 et on annonce officiellement dans les médias occidentaux que
les Serbes pratiquent au Kosovo une purification ethnique systématique.
Les chiffres cités à l'époque parlent de 500.000
victimes du "génocide" , pour la plupart enterrées à
la sauvette dans des charniers. Des commentateurs suggèrent même
que des corps ont pu être brûlés dans d'anciens sites
industriels, ce qui ne manque évidemment pas d'évoquer les
crématoires nazis. On sait aujourd'hui qu'à Racak ce sont
les troupes de l'UCK (et non des civils) qui avaient été
décimées, les troupes françaises ont finalement infirmé
l'hypothèse des crémations dans des cuves industrielles
et, après de longues et minutieuses recherches, les légistes
espagnols ont estimé le nombre de tués au Kosovo à
2500 maximum, des deux camps et y compris les décès particuliers
dont on ne peut accuser personne. Même l'hebdomadaire américain
Newsweek titrera après la fin des bombardements Mathématiques
macabres : le décompte des atrocités diminue. Mais
peu importe à ce moment-là puisque la guerre est terminée.
Les mensonges officiels ont mobilisé l'opinion publique au bon
moment pour avoir son assentiment et on peut en revenir à des évaluations
plus sérieuses. En automne 1999 il est aussi possible à
des journalistes occidentaux d'expliquer comment ils ont été
manipulés par des agents de l'UCK pour diffuser sur les chaînes
de télévision des témoignages "bidon". Ainsi la journaliste
Nancy Durham, travaillant pour la Canadian Broadcasting Corporation (CBC),
dont l'émouvant reportage sur l'assassinat d'une fillette albanaise
de 8 ans, avec le témoignage de sa grande sÏur, montré sur
plus de dix chaînes, révèlera avoir été
trompée par ses informateurs albanais, mais se voit refuser un
rectificatif démontant le mensonge . Quant aux charniers et aux
camps de concentration, les termes semblent a posteriori bien inadaptés
à la réalité. Il y a évidemment eu, au printemps
1999, meurtres, pillages, tortures et incendies de maisons albanaises,
mais on "oublie" de mettre en évidence avec la même acuité
les mêmes atrocités commises à partir de l'été
sur des Serbes, Bosniaques, Roms et autres personnes non Albanaises. Leur
exode sera passé sous silence alors que les images de réfugiés
albanais du Kosovo et leur accueil à l'étranger avaient
fait l'objet d'émissions complètes à la télévision.
C'est que ce cinquième principe de la propagande de guerre veut
que seul l'ennemi commette des atrocités, notre camp ne peut commettre
que des "erreurs". La propagande de l'OTAN popularisera à l'occasion
de la guerre contre la Yougoslavie le terme de "dégâts collatéraux"
et présentera comme tels les bombardements de populations civiles
et d'hôpitaux, qui auraient fait, selon les sources, entre 1200
et 5000 victimes. "Erreur" donc que le bombardement de l'ambassade chinoise,
d'un convoi de réfugiés albanais, ou d'un train passant
sur un pont. L'ennemi, lui, ne commet pas d'erreurs, mais commet le mal
sciemment. Il sera de bon ton, en outre, pour soutenir le moral des troupes
et de l'opinion publique, d'affirmer que l'ennemi connaît des pertes
énormes tandis que les nôtres sont inexistantes ou minimes.
6.
Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l'ennemi sont
énormes
Lors de la bataille d'Angleterre, en 1940, les Britanniques ont largement
"surestimé" le nombre d'avions allemands abattus par leur chasse
et leur D.C.A. Les nazis par contre, ont tenté le plus longtemps
possible de maquiller leur défaite sur le front de l'Est et proclamaient
des pertes retentissantes pour les Soviétiques sans évoquer
évidemment les leurs. Pour la guerre contre la Yougoslavie également,
cette vieille tactique fut utilisée. L'Occident assurait avoir
des pertes nulles dans son camp et infliger des pertes militaires énormes
à l'armée yougoslave. Ainsi, pour justifier l'utilité
des frappes, la propagande occidentale parlait de centaines de tanks yougoslaves
mis hors combat. Un an après la guerre, Newsweek put avouer que
seuls quatorze tanks yougoslaves avaient été touchés
par les frappes aériennes de 1999.....
7.
Notre cause a un caractère sacré
L'appui de Dieu à une cause est toujours un atout important et
depuis que les religions existent, on s'est allègrement entretués
au nom de Dieu. La propagande de guerre doit évidemment faire croire
à son opinion publique que "Dieu est à nos côtés"
ou, tout au moins, des ecclésiastiques doivent apporter leur caution
à la guerre en la déclarant "juste". Souvenons-nous que
le bon Saint Bernard exhortait les chevaliers du Christ à travailler
pour le Christ en tuant des infidèles...... "Got mit uns" affichaient
les soldats allemands de la Première guerre mondiale sur leur ceinturon.
A ce slogan répondait le "God save the King", anglais, tandis que
le cardinal primat de Belgique, le cardinal Mercier, dans sa lettre pastorale
"Patriotisme et endurance", n'hésitait pas à proclamer que
les soldats belges, mourant dans le combat contre l'Allemagne, rachetaient
leur âme et s'assuraient une place au paradis. Dans la guerre de
l'OTAN contre la Yougoslavie, si des évêques français
et américains se sont élévés contre l'emploi
de la force, d'autres, par contre, ont justifié les bombardements.
Ainsi, Mgr Jacques Delaporte, archevêque de Cambrai et président
de la commission Justice et Paix de l'épiscopat français
approuvait dans les colonnes du Monde les frappes aériennes comme
une action éthiquement nécessaire, tandis que l'archevêque
de Prague, Miloslav Vlik justifiait l'intervention de l'OTAN en s'appuyant
sur la doctrine de l'Eglise : La communauté internationale
n'est pas seulement autorisée mais également obligée
d'empêcher l'assassinat des Kosovars et de leur restituer le droit
au retour dans leur patrie. De telles prises de position légitimaient
évidemment auprès de l'opinion publique occidentale la "régularité"
du recours à la violence contre la Yougoslavie.
8.
Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause
Lors de la Première guerre mondiale, sauf quelques rares exceptions,
les intellectuels soutinrent massivement leur propre camp. Chaque belligérant
pouvait largement compter sur l'appui des peintres, des poètes,
des musiciens qui soutenaient, par des initiatives dans leur domaine,
la cause de leur pays. En Grande-Bretagne, le King Albert's book réunit
l'Ïuvre de propagande de peintres et graveurs qui "lancent" l'image glorieuse
du Roi Albert, roi chevalier. En France, les caricaturistes Poulbot et
Roubille mettent leur talent au service de la Patrie. En Belgique, les
artistes Ost et Raemaekers se spécialisent dans la confection d'images
tragiques évoquant le martyr des réfugiés belges
ou l'image héroïque de la Patrie. En Italie c'est le poète
Gabriele d'Annunzio qui sera le chantre de l'action. En Allemagne, en
octobre 1914, 93 intellectuels, dont le physicien Max Planck, le prix
Nobel et philologue von Willamovitz, l'historien G. von Harnack et de
nombreux professeurs de théologie catholique, signent un manifeste
de soutien à la cause de leur pays et à l'honneur de leur
armée, victime selon ce manifeste, d'odieuses calomnies. Pour la
guerre de l'OTAN contre la Yougoslavie, il ne s'agit plus guère
évidemment de composer de jolies musiques héroïques
ou de réaliser des dessins émouvants. Mais les caricaturistes
sont largement mis au travail, pour justifier la guerre et dépeindre
le "boucher" et ses atrocités, tandis que d'autres artistes vont
travailler, caméra au poing, pour produire des documents édifiants
sur les réfugiés, toujours soigneusement pris dans les rangs
albanais, et choisis les plus ressemblants possible par rapport au public
auquel ils s'adressent, comme ce bel enfant blond au regard nostalgique,
sensé évoquer les victimes albanaises. La quasi-totalité
des intellectuels français suivront la position officielle de leur
gouvernement par des articles de soutien dans la presse et des interventions
dans les médias. C'est le cas -évidemment-- du "philosophe"
Bernard -Henri Lévy, intervenant pendant toute la guerre sur les
diverses chaînes de radio française et dans le journal "Le
Monde" pour justifier les bombardements contre la Yougoslavie. Mais bien
d'autres "intellectuels" français (Pascal Bruckner, Zbigniew Brzezinski,
Didier Daeninckx, Jean Daniel, André Glucksmann, Philippe Herzog,
le géographe Yves Lacoste...)se signaleront par la même servilité
politique.
9.
L'ennemi utilise des armes non autorisées
Rien de tel, dans la propagande de guerre, que d'affirmer la fourberie
de l'ennemi en assurant qu'il se bat avec des armes "immorales" et condamnables.
Même si l'idée de base est absurde, il y aurait donc une
manière "noble" de faire la guerre au moyen d'armes "chevaleresques"
, c'est la nôtre évidemment, et par ailleurs une manière
barbare de faire la guerre avec des armes "sauvages", celle de notre ennemi.
Pendant la Première guerre mondiale la controverse est vive pour
savoir qui, de la France ou de l'Allemagne, a commencé à
utiliser les gaz asphyxiants. Chaque belligérant reporte sur l'ennemi
la triste priorité de cet usage, assurant que lui-même n'a
fait que "copier" ses armes par obligation. Le 1er septembre 1939, lors
de son discours au Reichstag annonçant de fait l'invasion de la
Pologne, Hitler lui-même assure avoir des préoccupations
humanitaires en matière d'usage des armes. Il aurait essayé
de limiter des armements, de supprimer certaines armes, d'exclure certaines
méthodes de guerre que je considérais comme incompatibles
avec le droit des gens. Lors de la guerre de Corée c'est le camp
communiste qui accuse les Etats-Unis de mener une guerre bactériologique,
qui est loin d'être prouvée. Pendant la guerre de l'OTAN
contre la Yougoslavie ce vieux principe de la propagande de guerre, relevé
par Ponsonby, va être réutilisé. En effet, alors que
les Yougoslaves révèlent en juin 1999 l'usage par l'OTAN
d'armes à uranium appauvri, aux conséquences humaines et
écologiques incommensurables, il ne faudra pas attendre longtemps
la riposte. Dès le mois d'août 1999 les médias occidentaux
assurent que les Yougoslaves auraient utilisé des armes chimiques
au Kosovo, transgressant par là les règles de la guerre
"civilisée"....
10.
Ceux qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres
Le dernier principe de Ponsonby veut que ceux qui ne participent pas à
la propagande officielle soient mis au ban de la société
et soupçonnés d'intelligence avec l'ennemi. Pendant la Première
guerre mondiale, les pacifistes de tous pays ont déjà appris
à leurs dépens qu'il n'était pas de neutralité
possible en temps de guerre. Celui qui n'est pas avec nous est contre
nous. Toute tentative de mettre en doute les récits des services
de propagande est condamnée sur l'heure comme un manque de patriotisme
ou mieux une trahison. Lors de la guerre contre la Yougoslavie le même
scénario s'est déroulé en Occident. La tactique médiatique
de l'OTAN a été de produire chaque jour des informations
reprises en chÏur par les journalistes-soldats. Les contradicteurs gênants
étaient systématiquement écartés, sauf de
quelques tribunes libres peu suivies, servant d'alibi pour montrer le
pluralisme de l'information. Lors de l'annonce du "génocide" des
Albanais du Kosovo, par exemple, quiconque émettait quelques doutes
sur l'ampleur de ce phénomène se faisait traiter de "révisionniste",
terme lourd de signification puisqu'il sert généralement
à désigner ceux qui nient que le nazisme ait organisé
l'extermination systématique des Juifs. En France, c'est l'affaire
Régis Debray qui cristallisera les passions. De retour du Kosovo,
Debray avait contesté, dans une lettre au président de la
République Jacques Chirac, la réalité de l'"épuration
ethnique" au Kosovo. Aussitôt les médias, entraînés
par Bernard-Henri Lévy, auteur -dès le lendemain de la publication-
d'une réponse intitulée "Adieu Régis Debray" organisèrent
son lynchage public. Daniel Schneidermann écrit que Debray "gifle
à distance les réfugiés", Pierre Georges le traite
de "faux journaliste", "porteur de ses préjugés", "ridicule
de naïveté" et assure qu'il a accumulé les "erreurs
élémentaires" et produit "un récit parcellaire et
totalement contestable". Alain Joxe, le taxera de "crétin international",
rallié aux thèses de Milosevic et complice du régime
fascisant serbe contre lequel l'U.C.K. se bat "pratiquement sans armes".
On rappelle fort habilement à ce moment que Régis Debray
est un ancien compagnon de Che Guevara. Ajoutée à l'assimilation
aux révisionnistes, l'accusation d'être un traître
rouge-brun se précise. Car, en temps de guerre, poser des questions
est déjà hérétique. L'hebdomadaire L'Evénement
n'hésitera pas à dénoncer publiquement à l'opprobre
ceux qu'il dénonce comme "Les complices de Milosevic" et dont il
publie la photo. Dans ce camp des "traîtres", on retrouvera pêle-mêle
l'historien Max Gallo, l'abbé Pierre, Monseigneur Gaillot, le général
Gallois, le cinéaste Carlos Saura, le chanteur Renaud, le dramaturge
Harold Pinter ou le sociologue Pierre Bourdieu. Pour s'être montrés
méfiants face à la propagande officielle, ils sont accusés
par l'hebdomadaire parisien d'avoir "choisi de brandir l'étendard
grand-serbe", d'être passés à l'ennemi.
Conclusion
Comme on le voit par ces exemples, les dix "commandements" de la propagande
de guerre qu'on trouve décrits par Ponsonby n'ont rien perdu, en
presque un siècle, de leur pertinence. Ont-ils été
appliqués intuitivement par les responsables de la propagande de
l'OTAN ou en suivant la grille que nous avons nous-mêmes suivie ?
Il est toujours risqué de penser que la propagande est bâtie
par une mise en scène systématique suivant un plan minutieux
et on aurait plutôt tendance à croire que le hasard des improvisations
a croisé les vieux principes de Ponsonby.
Il ne
faut cependant pas oublier que le porte-parole de l'Otan, qui a orchestré
toute la propagande de la guerre contre la Yougoslavie, est Jamie Shea.
Jamie Shea n'est pas un militaire inculte. Diplômé du Lincoln
College d'Oxford, il a justement réalisé comme travail de
fin d'études une thèse sur le rôle des intellectuels
dans la Première guerre mondiale ! Son acharnement académique
a été couronné par une situation socialement enviable
à la tête des services de propagande de l'OTAN. Il n'est
donc pas téméraire non plus d'imaginer que Jamie Shea a
appris, comme le font chaque année mes étudiants des cours
de Critique historique, les principes de base de la propagande de guerre
et qu'il les a soigneusement et systématiquement appliqués
dans la campagne de propagande qu'on lui a demandé d'orchestrer.
Par
Anne Morelli, professeur de Critique historique à l'Université
de Bruxelles (U.L.B)
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