Rouge : "Télés sans chaîne : Zalea TV"
ROUGE N º Champs
Née le 1er janvier 2000, la télévision associative Zaléa TV a été en
première ligne du combat pour la reconnaissance des télés libres (obtenue
en août 2000 avec la loi sur l’audiovisuel), et aujourd’hui pour l’obtention
de financements publics. Zaléa TV, qui émet en hertzien et sur le satellite
depuis le 20 mars dernier, a également initié des actions de protestation
contre "Loft Story". Elle participait, les 26 et 27 mai derniers, aux
premiers Etats généraux du tiers secteur audiovisuel.
En juin 1978, dans ces mêmes colonnes, Félix Guattari consacrait un long
article aux radios libres populaires. Au-delà de son analyse, qui pointait les
raisons de cet avènement et anticipait sur ses développements, il insistait sur
la nature particulière de cette prise de la parole "porteuse de charges
considérables de désir" (1). Vingt ans plus tard, étoffée d’une dimension
supplémentaire, celle de l’image, une nouvelle "langue du désir" (2) fait
irruption dans la société française et lutte pour la création d’un espace
audiovisuel non marchand, non commercial et solidaire : le tiers secteur
audiovisuel.
Les télévisions libres, à travers leur émergence, réactivent l’énergie
souterraine de "la parole directe, la parole vivante, pleine d’assurance mais
aussi pleine d’hésitation, de contradiction, voire de non-sens" (3), étouffée
jusqu’alors par quelques ministres ou directeurs de multinationales, présidents
d’université ou flics zélés, ronds-de-cuir et gardes-chiourme. D’abord illégales,
les télés libres sont sorties de la clandestinité après plusieurs mois de lutte,
avec la promulgation de la loi de communication du 1er août 2000.
Néanmoins, cette reconnaissance symbolique n’a été accompagnée d’aucun
effort des pouvoirs publics pour assurer la visibilité des télés libres et aider à
leur viabilité.
Mais que sont les télés libres ? D’abord, elles ne s’inscrivent pas dans la
logique de l’économie de marché, qui a transformé le programme de télévision
en marchandise et les téléspectateurs en consommateurs passifs, mais dans
celle de l’engagement volontaire et désintéressé où le programme doit avant
tout répondre à un besoin et avoir une utilité sociale, culturelle ou civique, et
où le téléspectateur est avant tout un citoyen actif. Elles sont un outil
d’expression, de création et de communication accessible à tous.
A quoi servent ces nouvelles télévisions ? A s’en servir justement pour agir et
faire agir, à montrer et à soutenir la citoyenneté dans tous ses états. Elle est
par nature contestataire et subversive, puisqu’elle offre une tribune en priorité
à ceux qui sont le plus exclus du droit d’accès à l’image. Cette télévision
d’action est héritière du cinéma d’intervention sociale, et continue le travail de
chirurgien qui consiste à racler les couches opaques du cristallin afin d’éviter
la sévère cataracte que nous impose la sphère médiatico-commerciale.
Quels sont les outils dont disposent les télés libres pour agir ? Leurs
programmes, qui explorent de nouvelles formes esthétiques au service de
nouveaux contenus éditoriaux et qui émanent :
Ernesto Lupino, pour Zaléa TV 1. Félix Guattari, "Les radios libres populaires", "Rouge", juin 1978.
2. Ibid.
3. Ibid.Télés sans chaînes
Zaléa TV
de structures associatives de production audiovisuelle, qui travaillent au plus
près du terrain et des acteurs du mouvement social ;
d’une nouvelle génération de journalistes d’investigation et de contredésinformation,
formés à la rude école des médias alternatifs ;
des associations, des ONG et des mouvements d’éducation populaire à
vocation socio-culturelle, humanitaire, de défense des droits de l’Homme, de
lutte contre le racisme et les discriminations, de protection de
l’environnement, etc., qui se sont mis à produire des images pour former et
informer ;
des nombreuses "télés-brouettes" et "télés-troquets" sans antenne, qui
sillonnent la France depuis très longtemps pour projeter leurs programmes en
public, afin que la télé rassemble au lieu de disperser ;
de vidéastes amateurs isolés ou en collectifs, du cinéma expérimental et
différent, des vidéo-artistes, des innombrables centres de formation aux
techniques de l’image en milieu scolaire ou extrascolaire ;
de vidéastes et cinéastes professionnels dont les oeuvres sont ignorées ou
censurées par les grosses chaînes pour des raisons de forme ou de fond.
En général, ces innombrables programmes valent autant par ce qui les motive
et ce qu’ils déclenchent que par ce qu’ils sont. C’est pourquoi ils sont souvent
contextualisés et complétés par des échanges entre ceux qui les ont fait et ceux
à qui ils sont destinés. Les télés libres sont ainsi ouvertes, participatives et
contributives. Les télés libres, en elles-mêmes et par l’impact qu’elles auront
sur l’ensemble du paysage audiovisuel, incarnent l’avenir de la télévision.
Quels moyens d’existence pour les télés libres ? Elles ne sont riches pour
l’instant que d’une volonté irréductible, des cotisations de leurs adhérents et
des dons des particuliers qui les soutiennent. Elles ont besoin, pour
fonctionner décemment, de 2 à 5 millions de francs par an, étant entendu
qu’elles ne rémunèrent pas les programmes qu’elles diffusent car elles n’en
font pas un usage commercial, et que leur personnel est largement composé de
bénévoles. Il serait normal, puisqu’elles prennent en charge une mission de
service public délaissée, qu’elles bénéficient de financements publics.
Néanmoins, les subventions devront rester minoritaires dans leur financement
sous peine de récupération par les institutions.
Au titre des financements neutres et pérennes, on peut penser, par exemple, à :
instaurer une taxe parafiscale prélevée sur les revenus publicitaires des
entreprises publiques et privées qui exploitent le spectre hertzien, espace
public inaliénable, pour alimenter annuellement un fonds de soutien au tiers
secteur audiovisuel ;
prélever quelques milliards de francs sur les 65 milliards que vient de
rapporter à l’Etat la vente de deux licences de téléphonie UMTS ;
récupérer une petite partie des 14 milliards de francs collectés chaque année
pour la redevance télé...
Avec l’apparition des télés libres, une interminable mèche lente vient d’être
allumée. Mais à la différence de la plupart des engins de sabotage utilisés dans
les actions de résistance, l’étincelle n’aboutit pas à un unique tonneau de
poudre ou à quelques bâtons de dynamite. Dans notre dispositif, la flamme
provoque la mise à feu successive de centaines d’explosifs reliés les uns aux
autres par une mèche centrale et dont les répercussions sont plus vastes que
l’écho lointain de leurs détonations... Une, deux, trois, mille télés libres !
Auteur(s) : Presse
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