Le Kino-Pravda par Dziga Vertov
1. Si le Kino-Pravda est la vérité montrée selon les moyens de l’oeil cinématographique, alors l’image d’un banquier ne sera authentique que si nous pouvons arracher
son masque à ce personnage, et sous le masque, apercevoir le voleur. 2. Il n’est qu’une seule manière de lui arracher son masque, c’est de l’observer habilement, en tapinois, de le photographier à l’improviste et à son insu. En dissimulant
par exemple, de façon opportune, la caméra, en ayant constamment recours à des pel-
licules très sensibles, à des objectifs très lumineux, au matériel infra-rouge pour les
prises de vues nocturnes ou dans de mauvaises conditions d’éclairement, et en allant
jusqu’à camoufler l’appareil afin d’éteindre son ronflement. Tout cela doit mener à
une immédiate et continuelle disponibilité de la caméra, toujours prête à se déclencher
au moment juste de la perception. (...) 3. Tout ceci advient quand un homme interprète dans la vie un rôle différent du sien
propre. Mais si nous prenons un acteur professionnel qui joue un personnage sur la
scène et que nous le filmions avec les moyens cinématographiques du « ciné-oeil »,
nous découvrirons que nous filmons en même temps les affinités ou les contradictions entre l’homme et le comédien, aussi bien le parfait accord ou les dissonances
entre ses sentiments et ses paroles.
Montrer lvanov dans le rôle de Petrov selon la technique du « Ciné-oeil ». cela revient
à le montrer homme dans la vie et comédien sur la scène ; à veiller que ne se confon-
dent son jeu au théâtre et son comportement hors des planches et vice versa. Non pas
Petrov face à vous, mais Ivanov qui interprète le personnage de Petrov. 4. Si une pomme vraie et une pomme fausse sont filmées de telle manière qu’il soit
impossible de les distinguer à l’écran, cela n’est pas habileté, mais incompétence
incapacité à photographier. La pomme vraie doit être photographiée en sorte
qu’aucune confusion ne soit possible. Elle doit être vraie au point qu’on puisse la
goûter et la manger, au contraire de la fausse, qui ne permet ni l’un ni l’autre : un
opérateur de talent comprend ces choses très facilement.
Cité par Abramov, « Dziga Vertov »
Premier Plan, n° 35, Lyon, 1965.
Auteur(s) : Ernesto lupino