Télérama du 7 juin 2000

Télévision magazine

La Loi sur l'audiovisuel face aux télévisions associatives

A quand la télé loi 1901 ?

La démocratie passe par l'autorisation des chaînes citoyennes. Mais l'Etat ne leur octroie que des fréquences locales. Michel Fiszbin, président d'Alea TV, s'indigne.

La France va-t-elle encore être en retard d'une guerre audiovisuelle ? Alors que dans la plupart des pays démocratiques, la législation permet aux associations d'être opérateurs de chaînes de télévision, la loi Trautmann revisitée Tasca, qui devrait être définitivement adoptée mi-juin par le Parlement, n'autorise toujours qu'au compte-gouttes l'entrée des associations dans le paysage audiovisuel hexagonal. Une situation difficilement concevable et pour le moins contradictoire avec l'article 1 de la loi sur la communication audiovisuelle de 1982, confirmé par la loi Léotard en 1986 et inchangé dans le projet actuel, qui pose comme postulat : « La communication audiovisuelle est libre. » Depuis des mois, la Coordination permanente des médias libres (CPML), qui regroupe des télévisions pirates, des radios associatives ainsi qu'un certain nombre de titres de presse alternative, revendique une place sur les ondes pour les télévisions associatives et milite en faveur de la création d'un véritable tiers secteur audioivisuel aux côtés des chaînes publiques et des télévisions privées. Elle a déjà obtenu par voie d'amendement que les associations puissent être candidates à l'attribution de fréquences hertziennes locales. « Insuffisant », juge Michel Fiszbin, confondateur de la CPML et président d'Alea TV, la chaîne vitrine du mouvement des télévisions associatives, dont on peut voir une préfiguration des programmes sur Internet (aleatv.org). Explications.

Télérama : Cent ans après la loi 1901, les associations ont fait leurs preuves. Pourquoi ont-elles toujours autant de mal à être considérées comme des acteurs à part entière du paysage audiovisuel français ?

Michel Fiszbin : Il y a toujours eu dans ce pays un vertige du pouvoir politique et de l'appareil d'Etat face aux nouveaux espaces de liberté d'expression et à leur appropriation. L'Etat français est par nature centralisateur, et ses responsables politiques ont longtemps rechigné à partager le pouvoir audiovisuel. Au début des années 80, il a fallu mener des actions de désobéissance civile pour casser le monopole d'Etat. On a alors pensé que le secteur privé pouvait résoudre à lui seul la question de la démocratisation de l'accès au média audiovisuel. C'était une erreur. La société civile est donc repartie à l'assaut en s'organisant au sein de la CPML. Et, puisqu'il est admis qu'il n'y a pas de démocratie sans contre-pouvoir, la démocratie audiovisuelle ne peut se passer du contre-pouvoir audiovisuel que représentent les télévisions associatives.

Télérama : En deuxième lecture à l'Assemblée nationale, les associations ont enfin reçu l'autorisation de pouvoir se porter candidat à une fréquence locale hertzienne. C'est un progrès, non ?

Michel Fiszbin : Leur interdiction était un tel anachronisme qu'il n'y a vraiment pas lieu de pavoiser. Si l'existence de chaînes associatives au niveau local est désormais possible, il reste à organiser le cadre économique et technique qui leur permettra de se développer. Il est pour cela nécessaire de créer un fonds de soutien à l'expression audiovisuelle pour les télévisions libres, sur le modèle de celui qui existe déjà en faveur des radios associatives. Ce fonds, d'un montant minimal de cinq cents millions de francs, serait alimenté par une taxe parafiscale sur les recettes commerciales des chaînes et des opérateurs de téléphonie mobile, qui occupent tous des fréquences publiques. Il faut par ailleurs que TDF ainsi que les opérateurs du câble et du satellite soient soumis à une obligation de diffusion gratuite des chaînes associatives. Après tout, la loi stipule que le transport des chaînes du service public par les opérateurs du satellite (CanalSatellite et TPS, NDLR) doit être gratuit. Je ne vois donc pas pourquoi ce qui serait possible pour le service public commercial ne le serait pas pour le service citoyen associatif non commercial.

Télérama : Pour l'instant, la loi autorise les associations à ne se porter candidates qu'aux seules fréquences locales hertziennes, mais toujours pas à des fréquences nationales hertziennes. qu'en pensez-vous ?

Michel Fiszbin : Alea TV vient officiellement d'être conventionnée par le CSA. A partir du 15 septembre prochain, elle pourra diffuser ses programmes sur le câble et sur le satellite au niveau national. On nage donc en pleine contradiction totale puisque, d'un côté, on peut diffuser une chaîne associative au niveau national sur le câble et le satellite et que, de l'autre, les chaînes associatives restent interdites de candidature à toute fréquence hertzienne nationale, que ce soit en analogique ou en numérique. Il devient urgent de lever cette contradiction.

Télérama : Quel type de programme alternatif les chaînes associatives seront-elles en mesure de proposer ?

Michel Fiszbin : Les télévisions libres qui se sont pour l'instant regroupées au sein de la CPML sont avant tout des médias critiques de l'ordre établi. En ce sens, elles sont plus subversives qu'associatives. Elles se considèrent davantage comme des ONG au service d'une cause d'intérêt général que comme des associations locales de vidéastes amateurs. Elles n'ont pas vocation à être pluralistes, mais à participer d'un pluralisme audiovisuel. Chacune d'entre elles disposera d'une production propre enracinée dans son environnement social et géographique. Alea TV entend par exemple mettre à l'antenne de nombreux reportages d'information et de décryptage de l'actualité. Nous avons en stock quelques concepts d'émission faisant référence à des émissions existantes comme Le club de la presse alternative, Envoyé vraiment spéciale, Ça se dispute, Arrêts prolongés sur Images... Alea TV diffusera également des programmes produits par d'autres télévisions associatives ainsi que ceux qui sont réalisés par des producteurs indépendants, mais refusés par les chaînes actuelles pour des raisons de format ou de contenu. Enfin, nous serons une vitrine pour les programmes tournés par des ONG comme Médecins Sans Frontières, Greenpeace, Amnesty International ou Reporters Sans Frontières. Ces ONG sont des mines d'images inexploitées. Qui sait par exemple que, dès 1994, MSF avait tourné en Tchétchénie un film intitulé Tchétchénie, un peuple qu'on assassine ?

Télérama : Il y a quelques mois, vous menaciez d'appeler au boycott de la redevance, voire de brouiller les fréquences des chaînes privées, si le projet de loi audiovisuel ne prenait pas en compte vos revendications. Ces menaces tiennent-elles toujours ?

Michel Fiszbin : Après le vote définitif du projet de loi, nous évaluerons ce que nous avons obtenu et nous agirons en conséquence. Si la loi devait rester en l'état, les chaînes associatives indépendantes risqueraient d'être mort-nées. Sans arsenal législatif solide, il est clair que l'audiovisuel non marchanc serait laminé par le jeu de l'économie de marché. Dans ce cas, nous réfléchirions à différents modes d'action. Nous pourrions reprendre des émissions de télévision pirate et, pourquoi pas, appeler à un boycott partiel de la redevance. Après tout, puisque l'audiovisuel public ne prend pas en charge l'accès citoyen à la télévision comme son cahier des charges lui en fait l'obligation, il ne serait pas illégitime de boycotter partiellement la redevance et de demander au public d'en reverser directement une partie aux télévisions associatives.

Propos recueillis par Olivier Milot