Alea, jamais vu à la télé

La chaîne associative est candidate à une fréquence hertzienne

Un an de lutte
des sans-antenne

8 mai 1999 : premier forum de la Coordination permanente des médias libres (CPML) qui compte alors 21 membres.

14 juillet 1999 : première prise de la «  Bastille audiovisuelle par les sans-antenne  », journée de diffusion pirate pour les télévisions associatives françaises.

2 octobre : deuxième journée des télévisions associatives, le jour de la remise des Sept d'or.

15 janvier 2000 : troisième journée d'action et création de TOP TV qui doit changer de nom suite à l'action du groupe Lagardère propriétaire de TOP 50. En mars, TOP TV devient Alea TV.

23 mars : défendu par Noël Mamère, l'amendement permettant aux télévisions associatives de se porter candidates à une fréquence hertzienne est adopté à l'Assemblée nationale lors de la seconde lecture de la loi sur l'audiovisuel.

5 juin : l'amendement visant la création d'un fonds de soutien défendu par la sénatrice Danièle Pourtaud (PS) n'est pas adopté lors du passage de la loi au Sénat.

La CPML réunit aujourd'hui quelque 70 télévisions, radios, sites web et journaux alternatifs. http://medialibre.org

Ailleurs sur le web :

Le site d'Alea TV

Le site du CSA, Conseil Supérieur de l'Audiovisuel

Libération - TÉLÉVISION - des samedi 15 et dimanche 16 juillet 2000
Par Isabelle Roberts

L'OISEAU MAZOUTÉ de l'Amoco Cadiz ébroue ses plumes engluées. «On nous signale la mort, accident ou suicide, d'un mécanicien de Plouguerneau qui a précipité sa voiture dans l'eau polluée du port, les télés ont montré dix fois l'oiseau, jamais l'homme.» Les images datent de 1978 mais n'ont jamais été diffusées à la télé, trop dérangeantes. Le documentaire de René Vautier Marée noire, colère rouge raconte l'indigence des pouvoirs publics et des médias à la suite du naufrage du pétrolier. Vingt-deux ans après, le film passe pour la première fois sur le petit écran, enfin va passer, si le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), le gouvernement, les opérateurs du câble et du satellite prêtent vie à Alea TV, « ONG d'action pour la liberté d'expression audiovisuelle ».

MÉDIAS LIBRES. A l'origine de cette télévision associative nationale (une première, car elles sont d'ordinaire locales), Michel Fiszbin, un des fondateurs de la radio Carbone 14 et vieux routard des télés pirates, mais aussi des anciens de la locale Télé Bocal, des journalistes de la Vache folle, publication satirique alternative, tous membres de la Coordination permanente des médias libres (CPML) créée en mai 1999 (lire ci-contre). Quelques journées de diffusion pirate et une loi sur l'audiovisuel plus tard, les télévisions associatives ont décroché le droit de se porter candidates à des fréquences hertziennes en analogique puis, en 2001, en numérique. Un grand pas, puisque ces télés étaient auparavant cantonnées à des autorisations temporaires ou obligées d'émettre illégalement. En attendant que le CSA lance un appel à candidatures pour une télé locale hertzienne sur Paris, Alea TV a obtenu de la part du Conseil un conventionnement « de principe » pour le câble et le satellite et discute actuellement avec Noos et CanalSatellite.

PIERRE CARLES. Au vu d'un échantillon des programmes d'Alea TV, on peut se dire que ces deux-là ont du flair. Le mot d'ordre principal est de diffuser du jamais vu sur le petit écran. Des films comme celui de Vautier ou ce reportage de 1992 - sans doute un peu trop réaliste au gožt de la chaîne - sur la fabrication d'un JT régional de France 3. Et, comme toute télé a ses stars, Alea TV a l'inévitable Pierre Carles et son film Pas vu pas pris réalisé autour de son expérience télévisuelle malheureuse (un reportage sur la connivence entre les journalistes télé et le pouvoir politique interdit d'antenne par Canal + en 1995).

ALEA TV propose aussi des productions maison : un reportage réalisé dans une librairie d'extrême droite parisienne ou un autre filmé lors d'un meeting RPR dans le XVIIIe arrondissement. Décapant. Egalement au programme, les Astres un court-métrage inédit de Laurent Firode (dont le Battement d'aile du papillon vient de sortir en salles). On y trouve aussi des émissions issues de télévisions locales associatives comme Pirativi à Marseille, Sans canal fixe à Tours, ou encore du collectif Vidéorème, de jeunes réalisateurs lillois qui présentent des documentaires saisissants de crudité sociale. Et des sketches hilarants fabriqués par les Imbéciles associés ou des montages de photos en mouvement réalisés par l'agence Tendance floue.

« TÉLÉ QUI DÉMONTE. » Même si Alea TV refuse la publicité, à l'antenne on pourra en voir de fausses (le bombage de l'immeuble de Total après le naufrage de l'Erika sur l'air de It's oh so Quiet de Björk) et des vraies (mais refusées) d'Amnesty International. Le tout est impeccablement emballé et ponctué du slogan d'Alea TV: « La petite télé qui démonte.» On est loin du stéréotype de la télé associative fabriquée avec des bouts de ficelle, en tout cas à en croire le montage d'extraits choisis que nous avons vu, le même qui a séduit les pontes de Noos et de CanalSatellite.

FINANCEMENT. Reste à savoir si Alea TV tiendra la distance tant au niveau du renouvellement des programmes que du financement et pourra diffuser, comme elle le prévoit, huit heures de programmes frais par jour. La chaîne ne fonctionne en effet que grâce à la bonne volonté des auteurs qui ne seront pas rétribués pour le passage de leurs Ïuvres. La loi sur l'audiovisuel, en autorisant les télés associatives à diffuser, n'a pas réglé le problème de leur financement puisque l'amendement qui instaure un fonds de soutien sur le modèle de celui des radios associatives a été repoussé. Le budget d'Alea TV a été évalué à 5 millions de francs par an, Michel Fiszbin a beau dire que « c'est le coût d'une journée de France Télévision », pour l'instant seule une souscription a été lancée. La solution est aujourd'hui dans les mains du gouvernement, peut-être via la loi de finances, sinon les télévisions associatives et Alea TV ne resteront que chimères.

Isabelle ROBERTS

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