Depuis que Lionel Jospin
a missionné Christian Paul, député de la Nièvre,
autour de la mise en place d'un organisme de corégulation
de l'Internet, c'est le branle-bas de combat. Untel se place, tel
autre se fait blackbouler, les sites surgissent et les débats
fusent déjà (voir Libération d'hier). Ici même,
vendredi dernier, une lettre ouverte à Christian Paul tentait
d'en appeler à la non-marchandisation du Net et à
la préservation de son esprit libre. Lundi, la réponse
de Christian Paul arrivait. Ecrite un dimanche après-midi
pluvieux dans le Morvan, elle disait :
M. Dufresne, j'ai eu connaissance de votre lettre ouverte et
considère qu'un courrier si bien tourné ne saurait
rester sans réponse tout aussi ouverte, surtout lorsqu'il
fait état d'une inquiétude naissante dans le monde
des internautes.
J'espère avoir l'occasion de vous rassurer, ou du moins
de discuter avec vous et tous ceux qui partagent ces craintes,
à la fois en ligne dans le forum ouvert à cet effet
dans les prochains jours, et de vive voix dans le cadre des nombreuses
auditions que nous préparons.
Néanmoins, dès maintenant, il importe de ne pas
se tromper de cible... ou de débat. Mon rôle, dans
cette "mission de préfiguration d'un organisme de corégulation
de l'Internet" n'est pas de définir des règles,
mais de "de définir le contour exact des compétences
que pourrait exercer le futur organisme de "corégulation",
ainsi que "les modalités concrètes de sa mise en
place".
Quant à l'organisme de corégulation, vous conviendrez
que les limites fixées par la lettre de mission de Lionel
Jospin sont rigoureuses : "ledit organisme devrait être
indépendant des pouvoirs publics et ne pas disposer de
pouvoirs de contrainte". Ce ne sera donc pas le Conseil supérieur
de l'audiovisuel, ni une autorité du même type. Il
ne définira pas de règles à la place du Parlement,
il ne tranchera pas de conflits à la place du juge.
En deça de ces limites, il reste cependant de nombreux
choix à effectuer, un large spectre de missions que l'organisme
pourrait, ou non, exercer. L'objet des mois de concertation qui
s'engagent est bien de trouver la juste place pour un tel organisme,
voire de s'assurer que sa création est opportune. Mon rôle
est d'en débattre avec tous ceux qui le souhaitent. Permettez-moi
enfin de pointer quelques paradoxes. La réflexion sur un
organisme de corégulation a entre autres pour origine l'émotion
qu'a suscité, à juste titre, et notamment dans vos
colonnes, une décision de justice relative à un
fournisseur d'hébergement gratuit. Faut-il ne rien faire ?
Ne serait-il pas préférable qu'un lieu d'échange
facilite la réflexion sur la responsabilité des
intermédiaires techniques de l'Internet, ou d'autres sujets
sur lesquels des risques de mauvaise interprétation juridique
existent ?
Ceux-là même qui pourraient "paniquer" devant cette
approche et récusent toute régulation de l'Internet
se réjouissent, encore à juste titre, de l'adoption
par l'Assemblée nationale de l' "amendement Bloche" - que
j'ai bien sur voté, et des deux mains. Vous-même
en appelez à la régulation pour renforcer les "paroles
libres", et vous n'avez pas tort. Mais l'on ne peut pas à
la fois être pour et contre la régulation. L'on doit
en revanche être pour certaines règles et contre
d'autres.
Enfin, qu'on le veuille ou non, l'Internet n'est pas un autre
monde. Les internautes achètent leur pain comme tout le
monde, ils ont un travail, des opinions, des origines ethniques,
des enfants. Les lois qui répriment l'incitation à
la haine raciale, qui protègent les enfants, qui garantissent
le respect de la vie privée ou les droits des consommateurs,
les protègent et les engagent comme les autres. La bataille
pour la liberté d'expression est une excellente bataille,
en faire un combat contre toute régulation ne sert que
les plus dangereux des partisans du "tout-marché".
Aujourd'hui, se crée par exemple aux Etats-Unis un véritable
marché de la protection de la vie privée. J'ai cru
comprendre que ce n'est pas ce que vous défendez. Moi non
plus. Aussi permettez-moi d'espérer qu'avant notre rencontre,
ces quelques lignes vous auront à la fois rassuré
sur nos intentions, et que nous puissions débattre aux
contradictions que recèlent certaines positions. Je vous
prie de croire, monsieur, à l'assurance de mes sentiments
les meilleurs.
Christian PAUL
Bien reçu, monsieur le député. Et à
bientôt (2).
(1) En l'occurrence, altern.org, dernier hébergeur gratuit
et garanti sans pub.
(2) Sur le forum : www.internet.gouv.fr/coregulation.htm
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