Ce
que dit le texte de loi
Texte
complet
Extraits
du projet de loi sur la liberté de communication adopté
par l'Assemblée le 16 juin, en troisième lecture.
Responsabilité
des hébergeurs (Article 43.6.2)
Les hébergeurs
sont tenus responsables de contenus qu'ils accueillent si,
« ayant
été [saisis] par une autorité judiciaire,
[ils] n'ont pas agi promptement pour empêcher l'accès à
ce contenu »
ou
si, « ayant
été [saisis] par un tiers estimant que le contenu qu'[ils]
hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, [ils]
n'ont pas procédé aux diligences appropriées ».
Identification
des auteurs
(Art. 43.6.4)
Les auteurs de sites tiennent
« à la disposition du public :
- s'il
s'agit de personnes physiques, leurs nom, prénom et domicile;
- s'il
s'agit de personnes morales, leur dénomination ou leur raison sociale
et leur siège social ».
Les
auteurs (non professionnels) d'un site « peuvent ne tenir
à la disposition du public, pour préserver leur anonymat,
que le nom, la dénomination ou la raison sociale et l'adresse [de
l'hébergeur], sous réserve de lui avoir communiqué
les éléments d'identification personnelle prévus
[au paragraphe précédent] ».
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L'intention
était pourtant louable: clarifier les responsabilités en
matière de liberté d'expression sur le Net. Mais voilà,
la première incursion importante de la représentation nationale
sur le terrain de l'Internet - sous la forme d'un amendement à
la loi sur la liberté de communication - se solde par un curieux
résultat: un texte que l'on peut considérer comme parfaitement
respectueux des libertés publiques ou, au contraire, comme liberticide.
Et qui, au final, ne clarifie pas grand-chose.
L'amendement
avait été introduit par le député PS Patrick
Bloche en mai 1999, dans la foulée de l'« affaire Altern »,
du nom de l'hébergeur de sites web lourdement condamné pour
quelques clichés d'Estelle Hallyday nue exhibés sur un site
qu'il accueillait, mais dont il n'était pas l'auteur. Le texte
initial proposait de dédouaner les hébergeurs, simples intermédiaires
techniques, de toute responsabilité sur les contenus. Seul l'auteur
du site devait répondre de ses actes. Après plusieurs navettes
entre l'Assemblée et le Sénat, la version quasi finale (1)
adoptée dans la nuit de jeudi à vendredi par les députés
s'avère autrement plus complexe. Tout d'abord, les hébergeurs
sont tenus responsables des contenus qu'ils accueillent s'ils ne procèdent
pas aux « diligences appropriées » du
simple accusé de réception à la fermeture du site
lorsqu'un tiers leur signale un problème. D'autre part, les internautes
désireux de concocter leur propre site seront tenus de s'identifier:
soit en mentionnant leurs nom, prénom et adresse sur la page d'accueil,
soit s'ils désirent rester anonymes en communiquant
ces informations à l'hébergeur (lire ci-dessous).
Peines
supprimées. Pour Patrick Bloche, le texte issu de cette troisième
et dernière lecture est un « bon équilibre
entre liberté d'expression et droit des personnes ».
Même enthousiasme du côté de l'AFA, l'association des
fournisseurs d'accès à l'Internet, qui représente
les principales entreprises françaises du secteur: « L'essentiel
est préservé, estime Jean-Christophe Le Toquin, son
délégué général. La notion de diligences
appropriées est floue, mais nous pourrons participer à sa
définition. » Sur l'identification des auteurs,
même confiance. Dans une version précédente, le texte
sanctionnait l'internaute rebelle de 25 000 F d'amende et jusqu'à
trois mois de prison. Idem pour l'hébergeur qui n'aurait pas pris
la peine de vérifier l'information. La disposition avait provoqué
la colère de l'AFA (entre autres), qui craignait qu'une telle mesure
incite les Français à héberger leurs sites à
l'étranger. La dernière version a évacué les
peines, et l'hébergeur doit seulement mettre un formulaire d'identification
à la disposition des internautes. S'ils mentent, c'est leur responsabilité.
Mais
le texte donne aussi à certains matière à s'alarmer.
Ainsi des Įdiligences appropriéesČ, expression vague qui transforme
les hébergeurs en médiateurs entre le plaignant et l'auteur
du site. Selon les opposants au texte, les hébergeurs risquent
de fermer un site au moindre grognement d'un tiers, afin d'éviter
toute embrouille juridique. « On est en train de légaliser
une sorte de censure », remarque l'avocat Olivier Iteanu,
président de l'association Internet Society France (Isoc). « On
aurait préféré que la loi impose à la victime
une saisine de l'autorité judiciaire avant tout, pour éviter
les abus. » La plupart des hébergeurs écrèment
déjà d'autorité tout contenu pédophile ou
néonazi détecté. Certains, tel Multimania (450.000
sites), poussent la bonne volonté jusqu'à détruire
les pages contenant des fichiers musicaux apparemment copiés.
Par
ailleurs, les opposants craignent que ce texte ne s'applique aussi aux
forums de discussions : au contraire des sites web, ces espaces publics
sont décentralisés et donc incontrôlables par l'intermédiaire
technique, bien en peine d'appliquer de quelconques diligences en cas
de dérapage. Selon Valentin Lacambre, le fondateur d'Altern (40.000
sites), la conséquence de telles mesures est simple: « Un
coup de Krcher sur l'Internet français : les gros pourront
résister aux procédures juridiques, mais pas les petits
indépendants. » Lacambre est de fait tout seul à
gérer son entreprise, et, au contraire de Multimania par exemple,
ne dispose pas de juristes à demeure ni d'une équipé
de surfeurs dédiés tentant de repérer les contenus
limites dans la masse des sites qu'il héberge.
Risque
de fuites. Les inquiétudes sont aussi nombreuses quant à
l'identification préalable des internautes. Pour le Réseau
Voltaire, la mesure est « inapplicable et dangereuse ».
Inapplicable « car les internautes français se feraient
alors massivement domicilier sur des serveurs étrangers »,
où les lois sont souvent plus douces. Et dangereuse parce que,
« au prix d'une atteinte grave au principe constitutionnel
de liberté d'expression », elle « répond
très mal à une question de sécurité ».
De fait, un pédophile glissant des photos sur son site bidonnera
sa déclaration d'identité.
Alors,
texte liberticide ou équilibré ? Seule certitude: le
projet de loi est un « générateur de flou »,
selon l'expression de Valentin Lacambre. « Le texte n'est
pas assez pédagogique », confirme-t-on dans l'entourage
de Catherine Tasca, la ministre de la Culture. Avant de choisir définitivement
son camp, on pourra aussi attendre quelques jours: le gouvernement prépare
une explication de textes, sous forme d'un questions-réponses basique
qui, promet-on, devrait lever les ambigutés en précisant
« l'esprit de la loi ».
Reste
un détail cocasse : il appartiendra au juge, au final, d'interpréter
une loi imprécise. A tel point que l'on peut se demander s'il était
utile de légiférer. « Il n'y avait pas de
vide juridique sur cette question, remarque Olivier Iteanu. Le
simple bon sens permettait de s'y retrouver. L'inflation législative
n'apporte pas plus de sécurité juridique : plus on
écrit, plus il y a d'interprétations ».
(1) Après un dernier passage devant le Sénat, le texte devrait
être adopté définitivement et en l'état par
l'Assemblée nationale le 28 juin.
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