Libération - la semaine

Émission impossible

Malgré la loi et le CSA,
des télés associatives ont émis illégalement hier.

Par ISABELLE ROBERTS

Le jeudi 15 juillet 1999

Ah ça émettra, ça émettra! Tel aurait pu être le mot d'ordre des télévisions associatives qui, en ce 14 juillet, sont parties, symboliquement, à l'assaut de « la Bastille audiovisuelle». Hier, à partir de midi, une dizaine de ces « sans-antenne» - les télés non autorisées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - ont diffusé clandestinement leurs programmes à Paris et en province. Unis au sein de la Coordination des Médias libres (1) créée le 8 mai dernier, ces pirates cathodiques entendaient ainsi mettre le CSA devant la réalité de leurs émissions. Et manifester en même temps leur désaccord avec le projet de loi Trautmann. La journée devait se conclure hier soir par une manifestation devant le ministère de la Culture et de la Communication, où les déçus du paysage audiovisuel étaient invités à déposer leur téléviseur en signe de protestation.

«A but non lucratif». Les revendications des Médias libres: la reconnaissance d'un «tiers secteur audiovisuel» qui, selon eux, devrait trouver sa place au côté des télés commerciales et publiques. Cette nouvelle catégorie serait financée par un «fonds de soutien à l'expression audiovisuelle» et bénéficierait de fréquences attribuées d'office. Actuellement, sur Paris, les autorisations temporaires de diffusion délivrées aux associations sont bloquées par le CSA, qui réfléchit au lancement d'un appel d'offres, suite à la candidature du groupe Amaury (le Parisien) à une télévision locale permanente. Le CSA suggère aux associations de se transformer en sociétés commerciales, seules habilitées à participer à un tel appel d'offres pour des raisons de viabilité économique. Militant pour des chaînes «privées, libres et indépendantes, à but non lucratif, non commercial, ouvertes à tous et accessibles au public», les Médias libres rejettent en bloc ce système, de même qu'ils contestent l'argument souvent avancé d'une absence de fréquences hertziennes disponibles.

Contrôles du CSA. Elles existent pourtant, comme l'a démontré le piratage organisé hier: les télés associatives ont émis principalement sur 3 canaux hertziens (35, 36 et 38) sans perturber ni la causerie présidentielle ni le Tour de France. Ondes sans frontières (OSF) a ouvert le bal depuis le quartier d'Aligre, dans le XIIe arrondissement, avec un micro-trottoir consacré aux télévisions de «libre parole» qui existent dans certains pays, mettant en application son slogan «Ne regardez pas la télé, faites-la». Selon OSF, qui émet illégalement depuis le 8 mai dernier, «c'est une manière de manifester et d'affirmer un droit, le droit à la libre expression, ainsi que montrer que nous sommes une vraie télé, avec déjà 2 000 heures de programmes à notre actif». Télé Bocal, qui est diffusée d'ordinaire sur cassettes dans les bars parisiens, retransmettait pour la première fois depuis ses locaux de la rue de Bagnolet dans le XXe arrondissement. A l'affiche: l'émission spéciale réalisée pour son quatrième anniversaire et un plateau Médias libres réunissant les acteurs de la journée ainsi que Serge Halimi, figure symbolique du mouvement, en guest-star. Pour Télé Bocal, ce 14 juillet est une réussite: «Cela montre qu'en créant la Coordination des Médias libres, on est devenu une force incontournable et qu'aujourd'hui on doit compter avec nous. On nous a assez baladés, maintenant on ne fera plus sans nous.» L'association Pour Voir Pas Vu, qui promeut le film censuré de Pierre Carles sur les collusions entre stars du journalisme télé et hommes politiques, était également de la partie: depuis le toit de l'immeuble que squatte un collectif d'artistes en face du palais Brongniart, elle diffusait les premières images de Dissensus TV, une chaîne consacrée à la critique des médias et spécialisée dans les programmes jamais passés sur les télévisions françaises.

Au final, les télévisions pirates ont pu monter à l'assaut de la Bastille audiovisuelle sans trop de difficultés techniques. Seule ombre au tableau: sûrement affolé par la rumeur d'un piratage de l'intervention de Jacques Chirac sur TF1, le CSA a affrété des camionnettes de Télédiffusion de France (TDF) afin de faire constater les usages non autorisés des fréquences hertziennes. Commentaire d'un technicien du CSA: «Nous venons contrôler le spectre.» Devant la puissance toute relative des émetteurs déployés, il est à se demander quels fantômes effraient à ce point l'autorité audiovisuelle.

(1) http://www.medialibre. org


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