Libération - la semaine

Médias libres... de survivre
Télés, fanzines et sites alternatifs tentent de coordonner leurs actions.

Par RAPHAËL GARRIGOS
ET ISABELLE ROBERTS

Le mardi 11 mai 1999


Les vingt et un de la coordination permanente

Ondes sans frontières: le slogan de cette télé associative, «Ne regardez pas la télé, faites-la», résume bien le joyeux folklore de ses émissions ouvertes à tous. Après deux autorisations temporaires du CSA, OSF n'a plus le droit d'émettre. Depuis samedi, elle arrose clandestinement l'Est parisien sur le canal 36.

Télé Bocal: créée en mai 1995, cette télé associative du XXe arrondissement diffuse ses programmes par cassette dans les bars. «La télévision libre qui ne fait pas de quartier» s'est vu refuser une autorisation d'émettre par le CSA, accord dont elle compte se passer dans les jours à venir (Libération du 27 octobre 1998).

Altern.org: Valentin Lacambre, créateur de ce site web d'hébergement (gratuit) de pages personnelles, a pu récemment évaluer les limites de la liberté d'expression. Des photos d'Estelle Hallyday nue lui ont valu les foudres de la justice. Altern.org devrait redémarrer dans quelques jours.

Don Quichotte: ce «newsmagazine mensuel» gratuit, destiné aux 20-35 ans, est disponible (50 000 exemplaires) dans les facs, cinémas, bars... Il tente de trouver sa voie à une époque «où il n'y a plus d'idéologie dominante et de contre-culture comme au temps du marxisme héroïque».

Et aussi: l'Insoumis, la Riposte, l'association Pour voir pas vu, Maintenant la lettre, TV Moun Martinique, l'Ornitho, le Tigre de papier, le Mini Rézo, Zapito, Voix populaire, 150 Films à faire et à distribuer, la Confédération nationale des radios libres, Liquidation totale, Infosuds, Prochoix, les Editions Gaies et Lesbiennes, la Vache folle.

Ça gronde chez les médias «alternatifs». Voici revenu le temps des télés pirates et des journaux en lutte. Samedi, Ondes sans frontières (OSF), une télé associative de l'Est parisien, non autorisée par le CSA, a repris l'antenne en toute illégalité. Télé Bocal, diffusée jusqu'à présent dans les bars de la capitale, s'apprête à faire de même cette semaine et Altern.org, site d'hébergement de pages personnelles, fermé pour cause de démêlés judiciaires, reviendra dans les jours prochains dans le cyberespace franais.

Animés par une même volonté de «constituer un contre-pouvoir critique face aux médias en place», les responsables d'une vingtaine de télés ou journaux (du fanzine à la revue sur papier glacé, en passant par les télés bricolées et les sites web communautaires) se sont retrouvés samedi à Paris pour le premier «Forum des médias libres», qui a, au moins, abouti à la création d'une coordination permanente.

Symbole. Le lieu de la réunion était déjà en lui-même tout un symbole: la Maison des ensembles, haut lieu du mouvement associatif. Cet aréopage gaucho-anarcho-homo-écolo-libertaire, mobilisé à l'initiative d'OSF et de l'Insoumis (journal né des grèves de décembre 1995), a planché dans une ambiance studieuse sur cette simple question: comment faire vivre des médias «libres de toute dépendance politique, libres de toute mainmise financière, libres de toute complicité avec le consumérisme»?

Né en novembre 1996 (et reparti d'un nouveau pied en mars après six mois d'interruption), le mensuel Don Quichotte a choisi de ne compter que sur la publicité, pariant sur la «maturité» des annonceurs: «C'est parce qu'on a un contenu alternatif qu'on peut intéresser des lecteurs et donc des annonceurs», parie Alexandre Piquard, un des fondateurs de ce journal techno-politico-sociétal branché. A l'opposé, la Riposte, fanzine joyeusement féroce traitant de politique, de drogue et de sexe, refuse la publicité: «une compromission», pour Jacques Lino, le rédacteur en chef. Les dix rédacteurs de ce journal trimestriel, d'anciens journalistes déçus de la «grande» presse, payent le prix fort (8 000 F par numéro) une passion qu'ils financent pour l'instant de leur poche, comme d'ailleurs la plupart des artisans de l'alternatif. Certains titres vont même jusqu'à prélever un «impôt révolutionnaire» sur le salaire que gagnent leurs troupes à l'extérieur. Autre frein: la difficulté pour ces titres d'obtenir un numéro de commission paritaire (qui permet aux journaux de salarier des journalistes, mais surtout de bénéficier de ristournes sur la TVA, les tarifs postaux et le prix du papier), parfois pour des motifs insolites tels que le «défaut d'intérêt général» opposé à la Riposte.

Galères. Les petites télés, elles, galèrent entre autorisations temporaires d'émettre et clandestinité. OSF et Télé Bocal militent pour la redistribution de l'espace hertzien, considéré comme «un bien public collectif», et refusent le gel des fréquences que le gouvernement veut imposer, en vue de l'avènement de la télé numérique hertzienne. A l'instar de la presse, les télés alternatives réclament un «fonds de soutien à l'expression audiovisuelle associative» issu soit de la redevance au même titre que le service public, soit des recettes publicitaires des chaînes commerciales. Toni Bricéno, un des fondateurs d'OSF, en appelle au droit à la libre circulation des idées pour justifier la reprise illégale de la diffusion de la chaîne: «C'est dans la désobéissance qu'on fait avancer les choses.» L'air est connu, mais la question ne laisse pas insensible la majorité plurielle, représentée au forum par la sénatrice socialiste Danièle Pourtaud et par l'attaché parlementaire du Vert Noël Mamère.

«On a acquis une certaine maturité», veut croire Françoise Causse, une des organisatrices du forum. Au moins la journée de samedi a-t-elle débouché sur la création d'une coordination permanente des médias libres (1), qui travaillera à «l'organisation de réseaux d'information et de diffusion communs». Mais c'est en fin de journée, alors qu'on se dépêchait de boucler la séance plénière pour laisser la salle au ciné-club du syndicat Sud, que la grande question a fusé: «Au fait, c'est quoi un média libre?» Un média «libre de mourir», a ironisé un participant. Obnubilés par leurs problèmes matériels, les médias «libres» n'ont fait qu'effleurer ceux de leur contenu.

(1) www.medialibre.org


 

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