Les «médias libres» s'invitent aux 7 d'or
Cinq manifestants et deux journalistes ont fini au poste.

Par RAPHAËL GARRIGOS ET ISABELLE ROBERTS

Le lundi 4 octobre 1999


© photo JACK GUEZ / AFP
Quatre lauréats des 7 d'or: Véronique Genest (pour «Julie Lescaut»), Josée Dayan, Jean-Pierre Guérin et Didier Decoin pour «le Comte de Monte-Christo».
Sur l'une des parois du panier à salade, un autocollant de Reporters sans frontières. «C'est sûr, ils vont nous faire louper les 7 d'or», ironise un des interpellés. Dans l'après-midi de samedi, cinq membres de la «Confédération permanente des médias libres» (CPML) et deux journalistes, du Parisien et de Libération, ont passé environ quatre heures aux mains des forces de l'ordre. Motif: «dégradation», «rébellion» et «trouble à l'ordre public». Récit d'une journée tohu-bohu en marge de la cérémonie des 7 d'or.

15 h 00. Quatre membres de la CPML dont Pierre Carles, réalisateur de Pas vu, pas pris un film censuré par Canal +, arrivent devant le Rex. A 19 heures, la CPML a prévu de manifester aux marches de ce lieu où s'est réuni le gratin de l'audiovisuel français pour assister à la treizième cérémonie des 7 d'or. Dans la journée, des télévisions membres de la CPML - non autorisées par le CSA (1) - ont émis illégalement pour prouver qu'il existe des fréquences hertziennes disponibles que leurs émissions peuvent parfaitement occuper, action analogue à celle du 14 juillet (Libération du 15 juillet).

Dissensus TV, une télévision issue de l'association Pour voir Pas Vu, qui a permis la sortie en salles du film de Pierre Carles, entendait le diffuser sur le quartier via un émetteur placé sur le toit du Rex puis, grâce au même émetteur, retransmettre en direct la manifestation du soir et dérouler une banderole sur la façade du bâtiment. Le projet frise l'illégalité: il a fallu, la veille, s'introduire dans un immeuble adjacent au Rex pour y déposer le matériel. Cette fois, l'entrée est gardée par le service d'ordre de la cérémonie: Michel Fiszbin, de Dissensus TV, réussit à pénétrer dans l'immeuble, mais le reste de la bande est rudement refoulé par un vigile.

15 h 15. Le ton monte quand le vigile intime l'ordre aux protagonistes de rester sur place en attendant l'arrivée du chef de la sécurité. Arrivent quelques policiers en tenue (Compagnie d'intervention, les CRS parisiens) qui procèdent à des vérifications d'identité et partent à la recherche de Michel Fiszbin, caché dans un cagibi à l'intérieur de l'immeuble.

15 h 30. D'autres policiers arrivent en renfort. Explication de leur chef au journaliste de Libération: «Ils sont là parce que des sacs plastique ont été trouvés dans l'immeuble.» C'est alors que débarquent deux gendarmes en tenue bleu électrique: les démineurs sont là! Rigolades parmi les me

mbres de la CPML restés dehors: les sacs poubelle ne renferment en fait que le matériel d'émission.

15 h 45. Intervention du directeur général du Rex, Bruno Blanckaert, qui plastronne en rappelant que son établissement fut le «premier à accueillir les radios libres». Il précise tout de même: «Je suis responsable au regard de la loi, je vais donc porter plainte mais de façon très symbolique.» L'objet de la plainte? «Dégradation»: un cadenas a été forcé.

16 h 00. Arrivée, caméra au poing, de Richard Sovied, journaliste à Télé Bocal. Il entreprend d'interviewer Pierre Carles: «Pierre Carles, que se passe-t-il?» Un policier fond alors sur Richard Sovied, empoigne l'objectif de la caméra et lui ordonne de l'éteindre. Pierre Carles tente un «laissez-le...» et se retrouve illico à terre, les poignets menottés. La main prise dans la sangle de sa caméra, Richard Sovied se contorsionne afin de préserver son matériel. Les policiers, de leur côté, parlent de «Rébellion.» Il est ceinturé, menotté et maintenu brutalement à terre par quatre agents.

16 h 15. Le groupe - journalistes du Parisien et de Libération inclus - est mis à l'écart des passants qui commencent à s'interroger. Palpation et fouille par un policier qui découvre un couteau Laguiole dans une poche: «- C'est quoi ça? - C'est pour faire les sandwiches.» Tout ce beau monde est embarqué au commissariat du IIe arrondissement.

16 h 50. L'affaire va durer environ trois heures: attente dans un couloir, interdiction de téléphoner, de fumer, toilettes («WC détenus») surveillées et mise en garde à vue de Michel Fiszbin pour «dégradation» et de Richard Sovied pour «rébellion». Deux membres des forces de l'ordre auraient déclaré à l'officier de police judiciaire avoir été frappés.

19 h 30. A l'accueil du commissariat, sympathisants et journalistes, informés de l'interpellation, tentent d'accélérer leur libération. Vers 20 heures, le matériel saisi est rendu et le groupe des sept remis en liberté. L'émetteur sera finalement fixé sur un camion et la manifestation de la CPML sera donc bien retransmise.

21 h 00. Début de la treizième cérémonie des 7 d'or sur TF1.

00 h 45. Vincent Lagaf', animateur du Bigdil sur TF1, reçoit le 7 d'or de la «personnalité de télévision de l'année» l

(1) A Paris: Télé Bocal, Ondes sans frontières, Dissensus TV, Télé Plaisance, Télé Tolbiac. A Montpellier: Les mutins de Pangée TV. A Tours: Sans canal fixe. A Bordeaux: TV sans frontières et Aquitaine TV. A Besançon: Haro TV. A Marseille: Primi Tivi, Midi Rouge et Taktik ainsi que la Fédération des vidéos des pays et des quartiers dans plusieurs régions de France.



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