Sur l'une des parois du panier à
salade, un autocollant de Reporters sans frontières. «C'est
sûr, ils vont nous faire louper les 7 d'or», ironise
un des interpellés. Dans l'après-midi de samedi, cinq membres
de la «Confédération permanente des médias libres»
(CPML) et deux journalistes, du Parisien et de Libération,
ont passé environ quatre heures aux mains des forces de l'ordre.
Motif: «dégradation», «rébellion»
et «trouble à l'ordre public». Récit d'une
journée tohu-bohu en marge de la cérémonie des 7 d'or.
15 h 00. Quatre membres de la CPML dont Pierre Carles, réalisateur
de Pas vu, pas pris un film censuré par Canal +, arrivent
devant le Rex. A 19 heures, la CPML a prévu de manifester aux marches
de ce lieu où s'est réuni le gratin de l'audiovisuel français
pour assister à la treizième cérémonie des
7 d'or. Dans la journée, des télévisions membres
de la CPML - non autorisées par le CSA (1) - ont émis illégalement
pour prouver qu'il existe des fréquences hertziennes disponibles
que leurs émissions peuvent parfaitement occuper, action analogue
à celle du 14 juillet (Libération du 15 juillet).
Dissensus TV, une télévision issue de l'association Pour
voir Pas Vu, qui a permis la sortie en salles du film de Pierre Carles,
entendait le diffuser sur le quartier via un émetteur placé
sur le toit du Rex puis, grâce au même émetteur, retransmettre
en direct la manifestation du soir et dérouler une banderole sur
la façade du bâtiment. Le projet frise l'illégalité:
il a fallu, la veille, s'introduire dans un immeuble adjacent au Rex pour
y déposer le matériel. Cette fois, l'entrée est gardée
par le service d'ordre de la cérémonie: Michel Fiszbin,
de Dissensus TV, réussit à pénétrer dans l'immeuble,
mais le reste de la bande est rudement refoulé par un vigile.
15 h 15. Le ton monte quand le vigile intime l'ordre aux protagonistes
de rester sur place en attendant l'arrivée du chef de la sécurité.
Arrivent quelques policiers en tenue (Compagnie d'intervention, les CRS
parisiens) qui procèdent à des vérifications d'identité
et partent à la recherche de Michel Fiszbin, caché dans
un cagibi à l'intérieur de l'immeuble.
15 h 30. D'autres policiers arrivent en renfort. Explication
de leur chef au journaliste de Libération: «Ils
sont là parce que des sacs plastique ont été trouvés
dans l'immeuble.» C'est alors que débarquent deux gendarmes
en tenue bleu électrique: les démineurs sont là!
Rigolades parmi les me
mbres de la CPML restés dehors: les sacs poubelle ne renferment
en fait que le matériel d'émission.
15 h 45. Intervention du directeur général du Rex,
Bruno Blanckaert, qui plastronne en rappelant que son établissement
fut le «premier à accueillir les radios libres».
Il précise tout de même: «Je suis responsable au
regard de la loi, je vais donc porter plainte mais de façon très
symbolique.» L'objet de la plainte? «Dégradation»:
un cadenas a été forcé.
16 h 00. Arrivée, caméra au poing, de Richard Sovied,
journaliste à Télé Bocal. Il entreprend d'interviewer
Pierre Carles: «Pierre Carles, que se passe-t-il?» Un
policier fond alors sur Richard Sovied, empoigne l'objectif de la caméra
et lui ordonne de l'éteindre. Pierre Carles tente un «laissez-le...»
et se retrouve illico à terre, les poignets menottés. La
main prise dans la sangle de sa caméra, Richard Sovied se contorsionne
afin de préserver son matériel. Les policiers, de leur côté,
parlent de «Rébellion.» Il est ceinturé,
menotté et maintenu brutalement à terre par quatre agents.
16 h 15. Le groupe - journalistes du Parisien et de Libération
inclus - est mis à l'écart des passants qui commencent à
s'interroger. Palpation et fouille par un policier qui découvre
un couteau Laguiole dans une poche: «- C'est quoi ça? -
C'est pour faire les sandwiches.» Tout ce beau monde est embarqué
au commissariat du IIe arrondissement.
16 h 50. L'affaire va durer environ trois heures: attente dans
un couloir, interdiction de téléphoner, de fumer, toilettes
(«WC détenus») surveillées et mise en garde
à vue de Michel Fiszbin pour «dégradation»
et de Richard Sovied pour «rébellion». Deux membres
des forces de l'ordre auraient déclaré à l'officier
de police judiciaire avoir été frappés.
19 h 30. A l'accueil du commissariat, sympathisants et journalistes,
informés de l'interpellation, tentent d'accélérer
leur libération. Vers 20 heures, le matériel saisi est rendu
et le groupe des sept remis en liberté. L'émetteur sera
finalement fixé sur un camion et la manifestation de la CPML sera
donc bien retransmise.
21 h 00. Début de la treizième cérémonie
des 7 d'or sur TF1.
00 h 45. Vincent Lagaf', animateur du Bigdil sur TF1,
reçoit le 7 d'or de la «personnalité de télévision
de l'année» l
(1) A Paris: Télé Bocal, Ondes sans frontières,
Dissensus TV, Télé Plaisance, Télé Tolbiac.
A Montpellier: Les mutins de Pangée TV. A Tours: Sans canal fixe.
A Bordeaux: TV sans frontières et Aquitaine TV. A Besançon:
Haro TV. A Marseille: Primi Tivi, Midi Rouge et Taktik ainsi que la Fédération
des vidéos des pays et des quartiers dans plusieurs régions
de France.