Les «Télés libres» lâchées par leur diffuseur
GlobeCast se rétracte par peur d'égratigner son image.

Par ISABELLE ROBERTS

Le mardi 3 août 1999



Ces médias qui refusent d'être commerciaux

A Paris, le groupe Amaury (le Parisien) veut une télévision locale. Depuis, le CSA étudie la disponibilité des fréquences, pour lancer un appel d'offres. Les télévisions associatives de la Coordination des médias libres ne peuvent statutairement y participer, à moins de se constituer en société commerciale, ce qu'elles refusent. Elles préfèrent l'instauration d'un nouveau secteur audiovisuel, à côté des télés commerciales et du service public. Au CSA, on note «ce désir d'expression de plus en plus fort» et son président, Hervé Bourges, commence à parler d'«une fréquence partagée» pour ces télévisions. Avant de mettre sur pied son appel d'offres, le CSA attendra la décision gouvernementale sur le numérique hertzien (qui multipliera les fréquences), attendue pour octobre.


© photo ERIC BAUDET
Manifestation des télévisions libres devant le ministère de la Culture le 14 juillet. Elles revendiquent un «tiers secteur audiovisuel».
C'était trop beau. Le «Canal Médias libres» est mort avant même d'être né. Les télévisions de la Coordination permanente des médias libres (CPML) (1), qui annonçaient la diffusion via satellite de leurs programmes à partir du 23 au 29 août prochain dans toute l'Europe (Libération du 22 juillet), viennent de tomber de haut. L'opérateur GlobeCast, filiale de France Télécom, qui devait les retransmettre gratuitement sur Hot Bird 3 (Eutelsat), s'est rétracté. La CPML doit certainement ce désistement à son rôle de poil à gratter dans l'épineux dossier des télévisions locales (voir encadré).

Désaveu. Les télés de ce collectif de médias indépendants jouaient une carte importante : la date de diffusion prévue sur satellite coïncide avec l'Université d'été de la communication d'Hourtin (du 23 au 27 août). C'était l'occasion pour les télévisions de proximité de montrer leurs émissions à grande échelle, elles qui d'ordinaire ne peuvent bénéficier que d'autorisations temporaires accordées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Pourquoi ce désaveu soudain de GlobeCast? Les préparatifs du «Canal provisoire des médias libres» allaient pourtant bon train puisque l'opérateur avait déjà adressé à la CPML les recommandations techniques liées à la diffusion et avait fixé la date de remise des cassettes. Puis, le 29 juillet, Alain Baget, directeur de GlobeCast Paris, annule tout. Officiellement, la filiale de France Télécom invoque une «clause restrictive». «Nous avions averti la Coordination que, dans la mesure où nous les diffusions gratuitement, si un de nos clients se manifestait c'est lui qui serait prioritaire. Le cas s'est présenté : nous avons un client qui a besoin de la capacité spatiale initialement réservée à la Coordination. L'accord, qui de toute façon était informel, est donc rompu.»

Ce client, dont GlobeCast refuse de révéler l'identité, arrive à point nommé pour sortir le diffuseur d'une situation qui aurait pu devenir gênante. Selon Richard Sovied, fondateur de Télé Bocal, et membre de la CPML, Alain Baget lui aurait révélé lors d'une conversation téléphonique le 29 juillet la vraie raison de son désistement : «on ne souhaite pas associer le nom de France Télécom à des actions qui se placent délibérément en marge de la légalité; à partir du moment où vous annoncez que vous allez pirater en octobre, on ne peut plus le faire». Alain Baget aurait alors illustré son propos par une métaphore hardie : «un constructeur d'automobiles ne prêtera pas de voiture à quelqu'un qui dit : "je vais faire des excès de vitesse sur l'autoroute"».

Effrayé. L'allusion est claire. Le directeur de GlobeCast évoque ici le «piratage» des fréquences hertziennes inutilisées programmé par la CPML pour le 2 octobre prochain. Le but de cette action est de faire reconnaître par la loi Trautmann un «tiers secteur audiovisuel» pour les télés associatives.

Problème : la CPML a annoncé à la presse quasi simultanément son accord avec GlobeCast et son action «pirate» du 2 octobre. Alain Baget a de toute évidence été effrayé que l'on puisse faire le rapprochement entre GlobeCast et une action illégale.

Joint au téléphone hier, il a maintenu la version officielle du client, tout en admettant qu'«il est désagréable de se retrouver mêlé à une opération illégale. Je regrette que la CPML ait communiqué de manière aussi virulente sur l'action du 2 octobre». De son côté, dans un communiqué daté du 1er août, la CPML s'interroge sur «la raison réelle de cette annulation», mais fait aussi savoir qu'elle a écrit à Alain Baget pour lui demander de leur «faire connaître au plus vite la date à laquelle une capacité de GlobeCast serait à nouveau disponible afin de réorganiser cette diffusion temporaire gratuite». Un conseil qu'Alain Baget serait bien avisé de suivre : la CPML est après tout un client potentiel.

(1) Dont Ondes sans frontières, Télé Bocal, Fédération des vidéos des pays et quartiers, Télé Plaisance, TV Moun Matinik...

©Libération