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Télévision
Le lundi 4 octobre 1999

La journée de révolte des pirates des ondes

FAIRE DE LA TÉLÉVISION pirate à Paris reste une activité périlleuse. Une brochette de militants des télés libres en ont fait l'expérience samedi avec un passage au commissariat de police pour quelques heures de garde à vue. En marge de la cérémonie des 7 d'or au Grand Rex, Ondes sans Frontières, Télé Bocal, Télé Plaisance, Télé Tolbiac, Dissensus TV et la Coordination des médias libres avaient prévu une journée d'action à Paris, en « occupant les fréquences hertziennes libres et en présentant leurs programmes sur les ondes au grand public ». À partir de leurs émetteurs pirates, 100 000 foyers parisiens ont pu plus ou moins bien capter leurs émissions. Une manière de montrer qu'il y a des fréquences libres en dehors des sept chaînes autorisées. Récit d'une journée mouvementée. 15 heures, rue de Bagnolet. Service minimum au QG de Télé Bocal, une des télés pirates les plus inventives de l'est parisien. Presque tout le monde est parti, vers un lieu tenu secret, afin d'émettre « sauvagement » sur le réseau hertzien. Seule activité visible, une camionnette de police banalisée dont dépasse une antenne proéminente. On tente de repérer l'émetteur. Un numéro de portable permet de retrouver l'équipe de télé bocal. Rendez-vous est pris dans un café du Marais. 15 h 30, sur le toit d'un immeuble du centre de Paris. Après maintes précautions, on accède sur un toit d'immeuble où une superbe antenne émet les émissions de Télé Bocal. « On joue à cache-cache avec la police, mais ils n'ont toujours pas réussi à nous repérer », s'amuse Richard, un des responsables. Manque de chance, la pluie battante réduit à néant les efforts de nos pionniers télévisuels et rend l'émetteur inopérant. Émission interrompue. Deuxième mauvaise nouvelle, Michel Fizsbin, de la Coordination des médias libres, a été interpellé alors qu'il tentait de monter sur le toit du Rex pour y placer un émetteur. Le but était de diffuser des émissions de télé libre en même temps que la cérémonie des 7 d'or. 16 heures, cinéma le Rex. Gros déploiement de force. Outre une armée de vigiles mobilisée pour la cérémonie, une demi-douzaine de cars de gardes mobiles sont stationnés boulevard Bonne-Nouvelle et des dizaines de policiers veillent au grain. On s'attend presque à voir arriver Bill Clinton d'un moment à l'autre. Devant le Rex, l'équipe de Télé Bocal sort sa caméra et commence à filmer le réalisateur Pierre Carles, auteur du documentaire « Pas vu, pas pris » sur les rapports télévision-pouvoir. Un film quasiment censuré sur les chaînes françaises. L'interview sera écourtée puisqu'une dizaine de policiers lourdement équipés se jettent sans prévenir sur l'interwievé et l'intervieweur. Ils sont menottés et on embarque quatre témoins de la scène, dont deux journalistes, direction un commissariat voisin, rue de Thorel (IIe). 17 heures, commissariat du IIe. Motif de cette arrestation ? « Troubles à l'ordre public », invoquent les policiers, plutôt nerveux. Richard, de Télé Bocal, est placé en garde à vue et retrouve en cellule, et en chaussettes, Michel Fizsbin, l'intrus du Rex. On reproche au premier une « rébellion », et au second une « entrée par infraction dans un immeuble ». Pour les autres, la police procède à une simple, mais longue, « vérification d'identité ». Tout le monde est finalement relâché avant 20 heures. Prévenu, le parquet a même ordonné la restitution du matériel télé saisi. 20 heures-minuit, boulevard Bonne-Nouvelle. La soirée se termine en face du Rex. Les « télés libres » ont affrété une plate-forme sur camion pour célébrer une « contre-cérémonie des 7 d'or ». Ils émettent un documentaire au son de la musique techno en direction des habitants du quartier. Le tout sous le regard attentif de policiers des RG. « En France, il n'y a que sept groupes qui sont autorisés à faire de la télévision, explique Michel Fizsbin. On va continuer à pirater les ondes pour se faire entendre. Il y a de la place pour tout le monde et on sait qu'un jour nous serons autorisés. »

Brendan Kemmet