Les télés locales en effervescence

LE JOURNAL DU DIMANCHE, OLIVIA DELAGE. Le dimanche 13 février 2000. ACTUALITÉ/39

C'EST UNE habitude, chaque deuxième jeudi du mois, Didier Jegou se rend à l'Arambar, rue de la Folie-Méricourt dans le 11e. Ce soir-là, le bar diffuse Télé Bocal, une émission d'une cinquantaine de minutes, composée de reportages et de sketches décalés. "Je trouve intéressant le regard ironique que Télé Bocal porte sur l'actualité, et le fait qu'ils donnent la parole aux gens de la rue", explique-t-il.
Propriétaire du bar, Patrick Bobineau retransmet ce programme depuis avril 1998 et, lorsque l'émission commence, il ne sert plus, il regarde. "Télé Bocal, c'est un concentré de talent de jeunes réalisateurs, monteurs ou acteurs, précise-t-il. Certains clients ne viennent à l'Arambar que le deuxième jeudi du mois et j'aime l'idée de ce rendez-vous."
Et c'est justement ce que souhaitait Richard Sovied, patron de la chaîne : que Télé Bocal soit un spectacle. C'est pourquoi la chaîne ne pirate pas de fréquence hertzienne, mais préfère une trentaine de bars dans la capitale. "Nous faisons une télé qui s'introduit chez les gens. Ceux-ci viennent rire, applaudir, ensemble", commente-t-il.
Autorisée par le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel), la chaîne a néanmoins été diffusée sur le canal 36, durant trois mois, conformément à la loi, qui n'autorise qu'une diffusion temporaire des télévisions associatives. "De toute façon, le CSA prétend que seul le canal 36 est disponible", déplore un responsable de chaîne locale.Aujourd'hui, cette fréquence hertzienne est non seulement occupée par Télé Plaisance-Tolbiac, qui émet de 19 heures à minuit, chaque jour, sur les 13e et 14e, mais également, et cette fois officiellement, par La Locale, une chaîne privée dirigée par Alain Quiquenpoix, un pionnier de la télévision de proximité.
Autorisée pour trois mois par le CSA, la chaîne émet quotidiennement depuis le 29 janvier sur les 18e et 19e arrondissements et le 93, de 18 heures à 21 heures. En phase d'expérimentation, elle se veut une vraie télévision, avec un budget et une ligne éditoriale. Une énergie considérable pour un public non encore identifié. "L'audience n'est pas un problème en soi, affirme Alain Quiquenpoix. Si une seule personne regarde, ça vaut le coup. C'est une philosophie de la télévision : que les gens puissent s'exprimer." Car le point commun de ces chaînes locales, c'est que n'importe quel bidouilleur d'images vidéo peut venir déposer sa cassette et demander qu'elle soit retransmise.
Et c'est justement au nom de cette liberté d'expression audiovisuelle que la Coordination permanente des Médias libres (CPML) met actuellement la pression sur les hommes politiques. Actualité parlementaire oblige. En effet, l'hémicycle discute le projet de loi audiovisuel proposé par Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication. "En France, le pouvoir de l'image est surestimé par les hommes politiques. Ils ne veulent pas le partager", explique Michel Fiszbin, de TOP TV. Et Richard Sovied d'ajouter : "La télévision est confisquée." Et lorsque Michel Fiszbin évoque TOP TV, il parle d'une ONG d'action audiovisuelle d'urgence : "Nous avons une trentaine d'années de retard sur les Etats-Unis et l'Europe, où il existe des milliers de chaînes d'accès public. En France, les chaînes associatives n'ont le droit d'émettre que trois ou six mois."
Le projet initial de Catherine Trautmann ne mentionnait d'ailleurs pas ces télévisions. Un amendement a néanmoins porté la durée d'autorisation des radios et télés temporaires de six à neuf mois."Au moins, les députés savent aujourd'hui qu'il existe un tiers secteur audiovisuel, à côté du secteur commercial et public, se félicité Richard Sovied. C'est déjà un progrès même si je ne suis pas très optimiste. Le CSA évoque le manque de fréquence analogique, nous demande d'attendre le numérique, mais nous n'aurons pas plus de fréquences numériques qu'analogiques, elles sont déjà toutes réservées."
C'est donc l'effervescence dans le monde des télés locales. De petites nouvelles ont d'ailleurs fait leur apparition : avec un émetteur principal installé à Meudon, TV Village, ex-Satanas TV, a déposé un dossier au CSA pour obtenir une autorisation temporaire. En attendant, elle diffuse, ponctuellement, des programmes sur paris, sa banlieue nord et est.
TOP TV a vu je jour le 15 janvier. Son objectif : devenir une vitrine nationale du tiers secteur audiovisuel, c'est-à-dire, diffuser les programmes des autres chaînes locales. Certaines chaînes, dont une basée à Manhattan, se sont alliées pour créer une chaine régionale d'Ile-de-France. Le CPML, quant à lui, réclame également un fonds de soutien à l'expression audiovisuelle d'accès public. Il faut espérer que, si un jour elles sont subventionnées, ces télévisions
n'y perdront pas leur liberté d'expression.

LE JOURNAL DU DIMANCHE, OLIVIA DELAGE. Le dimanche 13 février 2000. ACTUALITÉ/39