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RÉSUMÉ DE L'AFFAIRE YOUSSEF KHAïF

Abattu à Mantes-la-Jolie le 9 Juin 1991 par le policier HIBLOT, qui était YOUSSEF KHAIF ? "Youssef, c'est une grande gueule avec des dents de loup contre les injustices" (Lakhdar Madani, organisateur de Caravane 92) Youssef est une "personnalité" du quartier. Avec des jeunes du Val-Fourré et quelques anciens, il participait en 1989 à la création du Collectif Jeune qui lutte contre les injustices quotidiennes que subissent les 17.000 jeunes du Val-Fourré, la plus grande cité d'Europe, avec la volonté, la rage et l'envie de faire exploser le consensus mortel de la répression des "cités maudites". On le verra défiler des Mureaux à Paris, manifester contre la double-peine, participer aux réunions de Résistances des Banlieues ( un collectif inter-cités qui donnera par la suite naissance au Mouvement de l'Immigration et des Banlieues).
Toujours en première ligne, respecté par les jeunes du quartier, Youssef est impatient, pressé d'en découdre avec la hagra (mépris, injustice). Avec d'autres, il tire la sonnette d'alarme sur les risques de déflagration de la marmite-banlieue transformée en cocotte-minute. Après la mort de Aïssa IHICH au commissariat de Mantes-la-Jolie le 27 Mai 1991, Youssef fait encore une fois partie des plus actifs : il prend la tête des manifestations, interpelle la Mairie, met en cause la police. Treize jours plus tard, à l'âge de 23 ans, il nous quittera à son tour, victime de ce qu'il aura toujours combattu durant sa trop courte vie ...

RAPPEL DES FAITS ÉTABLIS

Samedi 9 juin, quartier du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie, début de soirée. Beaucoup de jeunes sont au pied de leurs immeubles. Comme d'habitude, "ils font le mur". Dans ces moments d'ennui, l'action apparaît comme un moyen d'assouvir un besoin vital. Le vol de voiture est une des actions délinquantes qui apporte jeu et excitation et répond à un besoin fort de fuir ce "mouroir", quitte à prendre des risques. Justement, ce soir-là, une soirée dansante était organisée à l'autre bout de la ville, à 4 km du quartier, et bien sûr aucun moyen de s'y rendre. Quelques jeunes du quartier ont commis ce soir l'irréparable : ils volent ensemble trois voitures pour se rendre à la soirée dansante, à la "Cellophane" mais avant, en profitent pour tourner dans le quartier, et épater les copains restés "collés" au mur.

Youssef KHAIF fait partie de ce groupe ayant, lui, fauché une Jetta Diesel. A quelques immeubles de là, un autre groupe de jeunes volent une R9 et font à peu près la même chose. Ces deux affaires sont bien indépendantes l'une de l'autre. Si les raisons de vol sont pratiquement les mêmes, les actes n'ont pas été commis en concertation. D'ailleurs, ils n'étaient pas ensemble tout au long de la soirée, même s'ils se sont croisés au cours de la nuit dans ce grand ensemble qu'est le Val-Fourré.

Un peu avant 2h du matin, la R9 repérée par la police, est prise en chasse. Durant ce temps-là, les passagers des autres voitures volées, dont Youssef KHAIF, sont à la soirée dansante. Le jeune conducteur de la R9, Saïdi LHADJ, se sentant poursuivi par la police, panique et accélère dans la nuit, par peur d'être arrêté. Une seconde voiture de police prévenue par radio lui barre la route au niveau de la rue Ste-Anne et de la rue Gassicourt. Pris de panique, Saïdi décide de forcer le barrage et accélère encore. Il remarque qu'il peut passer entre la voiture de police qui fait barrage et le trottoir. Au moment où la R9 est toute proche du véhicule banalisé, Marie-Christine BAILLET, une femme policier, sort subitement du véhicule de police. Tout va très vite, le jeune ne peut éviter le choc contre la portière ouverte, du fait de la vitesse à laquelle il roule. L'accident survient. Mlle BAILLET est écrasée contre sa portière. Il est 2h du matin, un drame vient de se produire en plein milieu de la nuit.

Pendant ce temps, Youssef et ses copains sortent de la soirée dansante et reprennent leurs trois voitures. Ils ne savent rien de l'accident qui vient de se produire à Gassicourt. Arrivé au Val-Fourré, Youssef se rend compte qu'il n'a presque plus d'essence dans son véhicule et propose de se rendre à la station service à l'autre bout de la ville. Les trois véhicules se dirigent donc vers le centre ville. Cette fois-ci, ils choisissent de passer via Gassicourt, ignorant totalement qu'ils se dirigent vers le lieu du drame. Au niveau de la place Ste-Anne, ils remarquent en s'approchant du carrefour les lumières des gyrophares en action, et la présence de nombreux véhicules de police et de pompiers. Surpris, ils décident de bifurquer sur la droite à un carrefour se situant à une centaine de mètres du lieu de l'accident. Les policiers présents sur le lieu du drame, ont vu les trois voitures s'approcher. Trois d'entre eux se précipitent vers ce carrefour, au moment même où les trois véhicules prennent leurs virages pour s'éloigner du lieu. Les voitures passées, seul le flic HIBLOT sort son arme, se met en position de tir, et tire sur le dernier véhicule qui s'éloigne. Trois balles de calibre 38 sont tirées, Youssef KHAIF est touché par une balle, sa voiture percute le mur sur la gauche et cale.

L'autopsie confirmera que Youssef a été atteint d'une balle en pleine nuque. L'autopsie précisera qu'au moment du tir, la distance entre l'arme du flic HIBLOT et la nuque de Youssef KHAIF est estimée entre 30 et 70 mètres ; elle est même plus proche de 70 mètres que de 30 (extraits du rapport d'instruction). D'ailleurs, seul le policier HIBLOT a dégainé ; les autres, à ses côtés, n'ont même pas éprouvé le besoin de sortir leurs armes, ne se sentant nullement menacés.

DIX ANS DE PROCÉDURE

Les drames de Mantes-la-Jolie qui ont defrayé la chronique du mois de juin 1991 ont eu droit à un traitement spécial de la part de la justice ... un traitement politique. Tout a été fait afin de faire traîner les choses et de transformer le meurtre de Youssef en accident de la légitime defense. Quand on regarde de plus près cette affaire, on s'aperçoit à quel point il y a eu connivence entre la police. la justice et de nombreux médias. Le ministre de l'Intérieur, M. Marchand, se fera (le lendemain du meurtre) le porte-parole de la version policière en accréditant la thèse de la légitime défense et en présentant Youssef KHAIF et Saïdi LHADJ comme des "tueurs de flics". Le Procureur de la République de Versailles, M. Colleu, lui emboîtera le pas en déclarant à la télévision (Antenne 2) que le dossier est clos et qu'il s'agit d'un regrettable incident de légitime défense. Chose extraordinaire, il n'ouvrira même pas d'information contre X pour coups et blessures ... Comme si il ne s'était rien passé ce 9 Juin 1991.

La famille KHAIF porte plainte et se constitue partie civile. Une information judiciaire est ouverte et le Juge Desmure est chargé de l'instruction. Il inculpe Hiblot le 5 septembre 1991 pour "coups mortels". En effet, passée l'émotion qu'avait suscité la mort de la policière Marie-Christine Baillet, la version de la légitime défense avancée par la Police, le gouvernement et la Justice, est contredite par les témoins directs et les expertises balistiques. L'expertise balistique nous apprendra qu'au moment des 3 coups de feu, la voiture de Youssef se trouvait entre 30 et 70 mètres - et même plus proche de 70 metres. Les différents témoignages et la reconstitution qui aura lieu en Juin 1992 indiqueront également que Hiblot n'était absolument pas menacé par les voitures au moment des tirs. Malheureusement, le juge Desmure sera déssaisi de l'affaire et promu Premier Juge d'lnstruction du Tribunal de Grande Instance de Nanterre. Le Juge Jean-Marie Charpier, connu comme étant "l'ami de la police" et pour ses idées d'extrême-droite, reprend l'affaire et cherchera par tous les moyens à disculper le policier Hiblot. Il aura un comportement vexatoire envers la famille KHAIF et fera tout son possible pour retarder la clôture du dossier et le renvoi devant la Chambre d'Accusation. Comment expliquer autrement le fait que l'instruction ait duré 8 années (autant que pour le sang contaminé) et que depuis 1995, il n'y ait plus d'actes d'instruction rajouté au dossier ?

En juillet 1997, 6 ans après les faits et presque 5 ans de détention préventive, les Assises de Versailles reconnaissent le caractère accidentel de la mort de Mlle BAILLET mais condamnent Saïd LHADJ à dix ans de prison ferme et 400.000 Frs de dommages et intérêts. En pleine période estivale, en juillet 1998, 7 ans après les faits, la Justice en la personne du Juge CHARPIER rend une décision sur la mort de Youssef KHAIF : non-lieu pour le policier Hiblot. Obligé qu'il est d'admettre que la thèse de la légitime défense ne tient pas, il nous sort "l'état de nécessité ". Ce qui revient à peu de choses près à délivrer un permis de tuer à la Police. Le Parquet général fait appel de cette décision et reconnaît le caractére délirant de l'arrêt du juge Charpier, et pariant sans doute sur la mansuétude d'un jury d'Assises pour le policier.

En Mars 2000, la Chambre d'Accusation de Versailles reconnaît enfin le caractère illégitime des tirs de Hiblot et décide de le renvoyer devant la Cour d'Assises des Yvelines pour "Violences avec armes ayant entraîné la mort sans intention de la donner".

DIX ANS DE MOBILISATION

Pendant ces dix ans de parodie judiciaire, la famille Khaïf, le MIB et le comité de soutien "Justice pour Youssef" n'ont jamais baissé les bras ni cédé aux pressions. Dix ans de luttes, de réunions, de manifestations, sans lesquelles cette affaire serait depuis longtemps enterrée dans les casiers du non-lieu ... Comme trop souvent, la justice et les politiques ont parié sur le temps pour que la mobilisation se relâche et que les habitants du Val-Fourré oublient et laissent faire. Mais notre mémoire et notre détermination sont solides : des réunions publiques ont été organisées presque chaque année à Mantes-la-Jolie pour rappeler aux plus anciens, pour informer les plus jeunes, ceux qui n'avaient pas connu Youssef. Le 13 Juin 1998, une manifestation est organisée au Val-Fourré et rassemble plusieurs centaines de personnes (la manifestation est bloquée à la sortie du quartier par les CRS). Le 13 Janvier 1999, une centaine de personnes se rassemblent devant la Cour d'Appel de Versailles qui statue sur le non-lieu prononcé par Charpier. Cette mobilisation et le travail de fond sur le dossier ont permis de révéler les mensonges des policiers et la crapulerie du juge Charpier.

La famille KHAIF interviendra aussi régulièrement lors d'initiatives publiques dans le cadre de la campagne JUSTICE EN BANLIEUE auprès d'autres familles victimes de crimes policiers. Ensemble, nous avons toujours tenté de sensibiliser un maximum d'individus et d'organisations à cette affaire qui, pour nous, est symbolique de l'impunité qui est délivrée à la police, notamment dans les quartiers.

UN DOSSIER COMPLET DE PRÉSENTATION DE L'AFFAIRE ET DE LA MOBILISATION EXCEPTIONNELLE QUE NOUS SOUHAITONS ORGANISER à L'OCCASION DU PROCÈS DU POLICIER HIBLOT EST EN PRÉPARATION. IL SERA DISPONIBLE ET VOUS SERA REMIS LORS DE LA RÉUNION DU 13 MAI 2001.

Rens MIB 26 bis rue Kleber - 93 100 MONTREUIL M¡ Croix de Chavaux - Ligne 9 (dir. Mairie de Montreuil) • Tél: 01 48 58 01 92 e-mail: mibmib@free.fr
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"Quand le gouvernement viole les droits du Peuple,
l'insurrection est pour le Peuple, et pour chaque portion du Peuple,
le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs."

Article XXXV, Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
décrétés par la Convention nationale en 1793

* * * Du Devoir de la Désobéissance civile * * *
de Henry David Thoreau
(Etats-Unis, 1849)
traduit par Micheline Flak, aux éditions Climats.