
Le point de vue documenté selon Jean Vigo
Dessiller le regard du spectateur.
(...) Mais je désirerais vous entretenir d’un cinéma social plus défini, et dont je suis plus
près du documentaire social ou, plus exactement, du point de vue documenté. Dans ce domaine à prospecter, j’affirme que l’appareil à prise de vues est roi ou tout
au moins président de la République. Je ne sais si le résultat sera une oeuvre d’art, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’il sera
du cinéma. Du cinéma, en ce sens qu’aucun art, aucune science ne peut remplir son
office. Le monsieur qui fait du documentaire social est ce type assez mince pour se glisser
dans le trou d’une serrure roumaine, et capable de tourner au saut du lit le prince
Carol en liquette, en admettant que ce soit spectacle digne d’intérêt. Le monsieur qui
fait du documentaire social est ce bonhomme suffisamment petit pour se poster sous
la chaise du croupier, grand dieu du casino de Monte-Carlo, ce qui, vous pouvez me
croire, n’est pas chose facile. Ce documentaire social se distingue du documentaire tout court et des actualités de la
semaine par le point de vue qu’y défend nettement l’auteur. Ce documentaire exige que l’on prenne position, car il met les points sur les i.
S’il n’engage pas un artiste, il engage du moins un homme. Ceci vaut bien cela. L’appareil de prise de vues sera braqué sur ce qui doit être considéré comme un document et qui sera interprété, au montage, en tant que document. Bien entendu, le jeu conscient ne peut être toléré. Le personnage aura été surpris par
l’appareil, sinon l’on doit renoncer à la valeur « document » d’un tel cinéma. (...) Extrait de la présentation de
A propos de Nice, 14 juin 1931.
Auteur(s) : Ernesto lupino