Télés libres : laissez-les vivre

Pour le développement d'un contre-pouvoir audiovisuel

Par MICHEL FISZBIN
Michel Fiszbin est président d'Aléa TV (www.aleatv.org) et cofondateur de la CPML (www.medialibre.org).
Le mercredi 26 avril 2000

 


retour

Les chaînes associatives locales hertziennes ont enfin été légalisées, après une année de réflexion et d'action orchestrée par la Coordination permanente des médias libres (CPML). Leur interdiction était un tel anachronisme qu'il n'y a pas lieu de pavoiser. D'autant que, pour l'instant, le cadre économique et technique qui leur permettrait vraiment de se déployer n'a pas été créé: pas de fonds de soutien à l'expression audiovisuelle non commerciale pour soutenir leur financement, pas de discrimination positive pour leur attribuer des fréquences analogiques en priorité, pas d'obligation de transport gratuit par les opérateurs commerciaux pour leur assurer une visibilité équitable, pas de chaîne associative nationale possible en numérique hertzien pour optimiser l'exposition de leurs programmes. Pas non plus de procédure d'autorisation et de cahier des charges spécifiques, qui permettraient au CSA de s'adapter aux chaînes se réclamant des valeurs de l'économie solidaire.

Si, au cours de ses prochaines lectures au Sénat et à l'Assemblée nationale, la loi Trautmann-Tasca sur la liberté de communication reste en l'état, les chaînes associatives indépendantes seront mort-nées. Et pourtant depuis vingt ans, les aventures et mésaventures des radios associatives sont riches de tous les enseignements possibles : sans volonté politique forte et soutenue, sans arsenal législatif solide, l'audiovisuel non-marchand est laminé par le jeu de l'économie de marché, avec la complicité plus ou moins active des institutions.

Car il s'agit bien d'un problème politique: comment instaurer la liberté d'expression et le pluralisme audiovisuel ? Puisqu'il est admis qu'il n'y a pas de démocratie sans contre-pouvoir, comment faire en sorte que puisse se développer un contre-pouvoir audiovisuel ? Les télévisions libres qui se sont regroupées pour contester la confiscation de la télévision par l'État et quelques grands groupes privés sont avant tout des médias critiques de l'ordre établi. Elles sont en ce sens plus subversives qu'associatives. Elles se considèrent davantage comme des ONG au service d'une cause d'intérêt général que comme des associations locales de vidéastes amateurs. Elles ne se fixent pas comme objectif éditorial de faire de l'information neutre, mais au contraire de la contre désinformation engagée, au service de et avec tous les exclus du droit à l'image. Elles n'ont pas vocation à être pluralistes, mais à participer d'un pluralisme télévisuel. Leur production est enracinée dans leur environnement social et géographique, mais elles aspirent à un rayonnement extra local, pour ne pas dire universel. Ce sont des chaînes à faire soi-même autant qu'à regarder, pour que les acteurs de la réalité deviennent aussi les acteurs de la télévision.

Le Tiers Secteur Audiovisuel, c'est cela : une multitude de pôles de production informels alimentant de véritables médias généralistes, de proximité mais sans frontières, télévisuellement incorrects, radicalement alternatifs aux chaînes actuelles, sans publicité et à but non lucratif, libres au sens où leurs programmes sont exclusivement contrôlés par ceux qui les font et où leur antenne est accessible à tous ceux qui souhaitent s'en servir dans un esprit citoyen. Les télés libres devront déranger. Elles ne se laisseront pas enclaver et étouffer comme les radios associatives. C'est ainsi que la classe politique doit l'entendre, et c'est ainsi que le législateur doit avoir le courage de leur donner le droit et les moyens d'exister.

Pour donner une vitrine nationale satellitaire, câblée et hertzienne à ce Tiers Secteur Audiovisuel, et pour commencer à le fédérer, une télévision libre nationale de plein exercice vient d'être créée : Aléa TV (TéléVision d'action pour la liberté d'expression audiovisuelle). Cette chaîne sera notamment la télévision du centenaire de la loi de 1901 sur la liberté d'association. Aléa TV souhaite démontrer qu'une démarche non commerciale, fondée sur le volontariat et le don de programmes, peut rendre viable une grande chaîne nationale alternative. La mobilisation des milieux associatifs et professionnels suscitée par cette initiative est encourageante. De même que la qualité et la quantité des programmes - à diffusion confidentielle pour l'instant - proposés par des associations et ONG de toutes tailles et de toute nature, des particuliers, des télés "troquets et brouettes" locales et des réalisateurs indépendants rejetés par les chaînes actuelles.

En créant un appel d'air à l'heure où les outils de production et de montage numériques deviennent accessibles au grand public, on peut s'attendre à un embrasement de la production indépendante. Le comportement du CSA face aux demandes d'autorisation tous azimuts d'Aléa TV sera un test de la volonté réelle d'ouverture des pouvoirs publics. Notamment à Paris, où l'attribution du canal hertzien 35 (le meilleur canal encore disponible pour une diffusion analogique) soit à une chaîne commerciale issue d'un groupe de presse, soit au Tiers Secteur Audiovisuel constitue un enjeu considérable. N'oublions pas que ce sont des télés libres pirates qui, au début des années 80, ont brisé le monopole d'état et ouvert la voie à la télévision privée en France. Le secteur commercial a pu proliférer et prospérer. Reste à compléter le paysage par un secteur non-marchand ouvert. Il est probable que le renouveau de la production française et la restauration de la crédibilité de l'information audiovisuelle viendront de là, avec de nouveaux contenus, de nouvelles formes et de nouveaux talents. La démocratisation de l'accès aux médias audiovisuels est ainsi un impératif politique, social, culturel et économique.

Retour à la revue de presse

Retour au Sommaire principal