Les
chaînes associatives locales hertziennes ont enfin été
légalisées, après une année de réflexion
et d'action orchestrée par la Coordination permanente des médias
libres (CPML). Leur interdiction était un tel anachronisme
qu'il n'y a pas lieu de pavoiser. D'autant que, pour l'instant, le
cadre économique et technique qui leur permettrait vraiment
de se déployer n'a pas été créé:
pas de fonds de soutien à l'expression audiovisuelle non commerciale
pour soutenir leur financement, pas de discrimination positive pour
leur attribuer des fréquences analogiques en priorité,
pas d'obligation de transport gratuit par les opérateurs commerciaux
pour leur assurer une visibilité équitable, pas de chaîne
associative nationale possible en numérique hertzien pour optimiser
l'exposition de leurs programmes. Pas non plus de procédure
d'autorisation et de cahier des charges spécifiques, qui permettraient
au CSA de s'adapter aux chaînes se réclamant des valeurs
de l'économie solidaire.
Si,
au cours de ses prochaines lectures au Sénat et à l'Assemblée
nationale, la loi Trautmann-Tasca sur la liberté de communication
reste en l'état, les chaînes associatives indépendantes
seront mort-nées. Et pourtant depuis vingt ans, les aventures
et mésaventures des radios associatives sont riches de tous
les enseignements possibles : sans volonté politique forte
et soutenue, sans arsenal législatif solide, l'audiovisuel
non-marchand est laminé par le jeu de l'économie de
marché, avec la complicité plus ou moins active des
institutions.
Car
il s'agit bien d'un problème politique: comment instaurer la
liberté d'expression et le pluralisme audiovisuel ? Puisqu'il
est admis qu'il n'y a pas de démocratie sans contre-pouvoir,
comment faire en sorte que puisse se développer un contre-pouvoir
audiovisuel ? Les télévisions libres qui se sont
regroupées pour contester la confiscation de la télévision
par l'État et quelques grands groupes privés sont avant
tout des médias critiques de l'ordre établi. Elles sont
en ce sens plus subversives qu'associatives. Elles se considèrent
davantage comme des ONG au service d'une cause d'intérêt
général que comme des associations locales de vidéastes
amateurs. Elles ne se fixent pas comme objectif éditorial de
faire de l'information neutre, mais au contraire de la contre désinformation
engagée, au service de et avec tous les exclus du droit à
l'image. Elles n'ont pas vocation à être pluralistes,
mais à participer d'un pluralisme télévisuel.
Leur production est enracinée dans leur environnement social
et géographique, mais elles aspirent à un rayonnement
extra local, pour ne pas dire universel. Ce sont des chaînes
à faire soi-même autant qu'à regarder, pour que
les acteurs de la réalité deviennent aussi les acteurs
de la télévision.
Le
Tiers Secteur Audiovisuel, c'est cela : une multitude de pôles
de production informels alimentant de véritables médias
généralistes, de proximité mais sans frontières,
télévisuellement incorrects, radicalement alternatifs
aux chaînes actuelles, sans publicité et à but
non lucratif, libres au sens où leurs programmes sont exclusivement
contrôlés par ceux qui les font et où leur antenne
est accessible à tous ceux qui souhaitent s'en servir dans
un esprit citoyen. Les télés libres devront déranger.
Elles ne se laisseront pas enclaver et étouffer comme les radios
associatives. C'est ainsi que la classe politique doit l'entendre,
et c'est ainsi que le législateur doit avoir le courage de
leur donner le droit et les moyens d'exister.
Pour
donner une vitrine nationale satellitaire, câblée et
hertzienne à ce Tiers Secteur Audiovisuel, et pour commencer
à le fédérer, une télévision libre
nationale de plein exercice vient d'être créée :
Aléa TV (TéléVision d'action pour la liberté
d'expression audiovisuelle). Cette chaîne sera notamment la
télévision du centenaire de la loi de 1901 sur la liberté
d'association. Aléa TV souhaite démontrer qu'une démarche
non commerciale, fondée sur le volontariat et le don de programmes,
peut rendre viable une grande chaîne nationale alternative.
La mobilisation des milieux associatifs et professionnels suscitée
par cette initiative est encourageante. De même que la qualité
et la quantité des programmes - à diffusion confidentielle
pour l'instant - proposés par des associations et ONG de toutes
tailles et de toute nature, des particuliers, des télés
"troquets et brouettes" locales et des réalisateurs
indépendants rejetés par les chaînes actuelles.
En
créant un appel d'air à l'heure où les outils
de production et de montage numériques deviennent accessibles
au grand public, on peut s'attendre à un embrasement de la
production indépendante. Le comportement du CSA face aux demandes
d'autorisation tous azimuts d'Aléa TV sera un test de la volonté
réelle d'ouverture des pouvoirs publics. Notamment à
Paris, où l'attribution du canal hertzien 35 (le meilleur
canal encore disponible pour une diffusion analogique) soit à
une chaîne commerciale issue d'un groupe de presse, soit au
Tiers Secteur Audiovisuel constitue un enjeu considérable.
N'oublions pas que ce sont des télés libres pirates
qui, au début des années 80, ont brisé le
monopole d'état et ouvert la voie à la télévision
privée en France. Le secteur commercial a pu proliférer
et prospérer. Reste à compléter le paysage par
un secteur non-marchand ouvert. Il est probable que le renouveau de
la production française et la restauration de la crédibilité
de l'information audiovisuelle viendront de là, avec de nouveaux
contenus, de nouvelles formes et de nouveaux talents. La démocratisation
de l'accès aux médias audiovisuels est ainsi un impératif
politique, social, culturel et économique.