La télé pirate à l'abordage

Un amendement pourrait leur attribuer des fréquences

Par RAPHAËL GARRIGOS
Le samedi 11 et dimanche 12 mars 2000

« On reconnaît enfin
à la télévision le droit
d'être démocratique mais,
en repoussant la question
du fonds de soutien,
le gouvernement s'est arrêté
au milieu du gué. »
Noël Mamère, député Vert

Les télévisions pirates vont-elles enfin pouvoir abaisser le pavillon noir ? Alors qu'elles organisent samedi leur quatrième « prise de la Bastille audiovisuelle », l'une de leurs principales revendications vient d'être satisfaite: lors de l'examen de la loi Trautmann à l'Assemblée nationale (du 21 au 23 mars), le gouvernement présentera un amendement qui autorise les associations à être candidates à l'attribution d'une fréquence de télévision en mode analogique. Jusqu'à présent, ces télés —Télé bocal ou Ondes sans frontières pour les plus connues— n'avaient droit qu'à des autorisations temporaires de trois mois et en étaient réduites, une fois ce délai expiré, à émettre clandestinement.

Après un an de lutte, la Coordination permanente des médias libres (CPML), qui réunit environ soixante-dix télévisions, radios, sites web et fanzines alternatifs, se refuse à crier victoire. « Tout cela est encourageant mais ne suffit pas », note Michel Fiszbin, l'un des initiateurs du mouvement, qui réclame la création d'un fonds de soutien « à l'expression télévisuelle non-marchande, alimenté par une taxe sur le chiffre d'affaires commercial des chaînes ».

« Tiers secteur ». Cette absence de financement est également soulignée par le député Vert Noël Mamère qui est en partie à l'origine du nouvel amendement : « On reconnaît enfin à la télévision le droit d'être démocratique mais, en repoussant la question du fonds de soutien, le gouvernement s'est arrêté au milieu du gué. » Pour l'ex-présentateur du journal télévisé, soutien actif de la CPML depuis la première heure, cet amendement est « un bon moyen d'instaurer de la diversité et du pluralisme dans l'audiovisuel mais il faut payer le prix de la liberté ». Noël Mamère évoque la possibilité d'alimenter ce fonds avec une partie de la redevance télé.

Pour l'instant repoussée, la question du financement reviendra sur le tapis lors de l'examen de la loi Trautmann et pourrait être réglée à l'automne prochain, lors de l'adoption de la loi de finances 2000. Certes, concède Michel Fiszbin, « on a avancé », mais tout reste à faire : si le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) lance, comme prévu, un appel d'offres pour l'attribution d'une fréquence hertzienne analogique à Paris, les télés associatives pourront s'y porter candidates. Mais que pèsera par exemple Télé bocal face au projet du puissant groupe Amaury (le Parisien, l'Equipe) ? D'où la revendication formulée par la CPML de la création d'un Ētiers secteur audiovisuel spécifique, protégé des lois du marché, qui ne soit pas en concurrence avec les secteurs privés et publics ». De la même façon, la CPML demande que TDF ainsi que les opérateurs du câble et du satellite soient soumis à une obligation de diffusion gratuite des chaînes associatives.

« Déverrouiller l'expression. » La « prise de la Bastille audiovisuelle » ne sera donc pas le dernier baroud d'honneur des « médias libres ». L'action de samedi (1) voit la naissance de Top TV (Télévision ouverte de partout), une chaîne « vitrine » du mouvement qui compte être diffusée en toute légalité sur le câble et le satellite à partir de septembre prochain. Top TV entend « déverrouiller l'expression, la production et la diffusion audiovisuelles françaises » en montrant les programmes des télévisions membres de la CPML. Soutenu par le CSA, l'amendement sur l'autorisation des télévisions associatives devrait être voté par les députés et déclencher un chambardement du paysage audiovisuel français de l'ampleur de celui qu'il a connu avec l'avènement des radios libres en 1981.

(1) Manifestation à 12 heures devant le ministère de la Culture, place du Palais-Royal à Paris, puis diffusion pirate des télévisions membres de la CPML

(programme sur http://www .medialibre.org).

 


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