L'aspiration à la démocratisation de l'accès à la télévision est apparue dès la fin des années 70, dans la foulée de l'émergence des radios libres. Les enjeux réels étaient alors la levée du monopole d'état, l'appropriation par la société civile des outils de communication audiovisuel ainsi que la décentralisation du pouvoir médiatique. L'échelon local étant le seul qui soit techniquement et financièrement abordable, les télévisions libres ne se sont jamais pensées à l'époque autrement que locales, tout comme les radios libres. L'ouverture de la télévision aux initiatives privées au cours des années 80 n'a concerné que les chaînes commerciales et les chaînes des collectivités locales. Près de 150 chaînes locales sont ainsi apparues, quelques-unes en diffusion hertzienne, la plupart sur les réseaux câblés. Le secteur associatif a du attendre l'an 2000 et la nouvelle loi sur la liberté de communication (dite "loi Trautmann") pour se voir légalisé. Entre temps, les télévisions libres, c'est-à-dire sans but lucratif et indépendantes aussi bien du pouvoir économique que du pouvoir politique, se sont malgré tout développées sur le terrain, sur le mode télé troquet, télé brouette et télé pirate, faisant preuve d'une capacité de mobilisation incontournable. La télévision de proximité, au sens de média situé dans le proche voisinage de ses usagers (sens propre), et au contact des réalités locales et des préoccupation quotidiennes (sens figuré), est ainsi constituée de quatre composantes : le secteur commercial (dont la presse quotidienne régionale est en train de devenir l'acteur principal), le service public national décentralisé (F3), le service public d'initiative locale (les municipalités), le secteur associatif (ou Tiers Secteur Audiovisuel). De ce foisonnement d'initiatives et d'expériences d'ampleur et de durées variables, et des nombreuses études qui en résultent, une conclusion s'impose : la télévision de proximité est souhaitée et souhaitable. Les téléspectateurs sont au rendez-vous, les programmes des vidéastes amateurs et professionnels aussi, et l'impact socioculturel, voire économique et politique, sur la vitalité des bassins de population et d'activité est appréciable. La télévision locale est bien un outil d'information, de développement et de démocratie participative dont chaque territoire a besoin. Malheureusement, ses modalités de financement tardent à se mettre en place, conséquence d'une frilosité politique chronique. Certes, la liberté d'expression et le pluralisme audiovisuels ont un coût, tout comme l'exercice des droits fondamentaux et l'aménagement du territoire. Toutefois, il ne faut pas s'y tromper, l'attente la plus forte ne concerne pas la proximité mais la distinction. C'est une autre télévision qui est surtout recherchée par le biais de la télévision locale, une télé radicalement différente du modèle unique asséné par les chaînes existantes. Elle incarne l'espoir d'une télé de la vraie vie, des vrais gens et du temps réel, d'une télé accessible et de libre parole, d'une télé qui fasse réfléchir et agir par opposition à une télé qui abrutit et anesthésie. L'espoir d'une télé qui cesse d'instrumentaliser les acteurs sociaux et culturels de terrain pour se mettre enfin à leur service. Une télé d'intervention plutôt que de représentation. Une télé engagée plutôt que froidement et faussement objective. Cette construction d'une télévision alternative, véritable contre-pouvoir audiovisuel, va de paire avec la déconstruction de la monoforme télévisuelle, à laquelle nous sommes tellement habituée qu'elle nous parait indépassable. La télé libre, sans but lucratif, non-commerciale, citoyenne et d'accès public, dégagée des contraintes de l'économie de marché qui ont transformé le programme de télévision en marchandise et le téléspectateur en consommateur, est aujourd'hui la mieux placée pour explorer ces nouvelles formes et ces nouveaux contenus. Une autre télévision est possible et nécessaire. Elle n'est pas forcément de proximité au sens propre, mais elle l'est certainement au sens figuré. Et il ne suffit pas qu'une chaînes soit locale pour être de proximité. C'est pourquoi il faudra rester attentif à ce que les télés libres vraiment libres reçoivent et conservent une part équitable de l'espace audiovisuel, qu'elles soient locales, multilocales ou globales. Et pas seulement sur la TNT (télévision numérique terrestre), dont le succès reste hypothétique, mais également en analogique hertzien, sur le câble et par satellite, pour qu'elles soient au plus vite accessible à tous. Michel Fiszbin Président de Zalea TV, télé libre nationale www.zalea.org |