Elle s'inscrit
dans une perspective politique visant à contre-balancer le discours
dominant par la réflexion, la remise en question et la proposition
d'idées de rechange. Pluraliste et accessible à l'ensemble
des citoyens, elle propose un contenu collant à l'actualité,
d'information et d'éducation politique.
B - Des médias
alternatifs
1 - Le rejet
du qualificatif de "Libre"
Il est tout d'abord intéressant de noter la présence d'une
représente du CMAQ, Mademoiselle Sonia Rochette à ce forum.
En effet, cette question de la définition de cette nouvelle presse
est abordée au Canada depuis plusieurs années, sans qu'aucune
réponse réellement satisfaisante ait pu y être apportée.
Quoi qu'il en soit, avant toute chose, il convient de rejeter l'adjectif
"Libre" pour qualifier ces médias.
En effet, notons que, d'après le dictionnaire, la presse libre
est définie comme étant une presse "qui n'est pas contrôlée
par un pouvoir politique, un autorité, un gouvernement". Dans
l'absolu, force est de constater qu'en France, depuis la loi sur la
liberté de la presse écrite de et l'article 1er de la
loi de 1982 sur la liberté de la communication audiovisuelle,
tel que repris par la loi de 1986 fixant le statut des médias
audiovisuels, "la communication est libre". Ainsi, toutes les entreprises
de presse exerçant dans notre pays, quelque puisse en être
le médium, est réputée être libre. Sans rentrer
dans une discussion philosophique sur le thème de la liberté,
nous pouvons toutefois avancer l'idée que la presse en France
ne connaît pas une réelle liberté, puisque la domination
politique a, en fait, laissée sa place à une domination
plus insidieuse, celle du monde économique. Remarquons que depuis
près de dix ans, le paysage médiatique français
s'est métamorphosé, avec la création de véritables
géants de la communication générés par la
fusion et la concentration tant verticale qu'horizontale des entreprises
existantes. Notons à cet égard l'exemple de l'entreprise
"Vivendi Universal", deuxième société de communication
au monde qui possède notamment la Chaîne Canal Plus, mais
également un réseau satellite, un prestataire de service
sur Internet, et des participations dans plusieurs médias français.
Cette société est, à maintes égards, significative
de la domination économique dans le secteur des médias
puisque son PDG, M. MESSIER, a du démissionner de son fauteuil
à la suite de pressions exercées par son Conseil d'Administration
et ses actionnaires. L'entreprise de presse est une entreprise comme
une autre qui se doit de réaliser un chiffre d'affaire et des
bénéfices qui seront par la suite, redistribués
à ses actionnaires. Or, le seul produit que vend une entreprise
de presse, ce sont ses programmes, son journal et son espace publicitaire.
C'est ce phénomène que BOURDIEU a dénoncé
en invoquant la "marchandisation de l'information" qui n'est plus qu'un
produit qui se vend et s'échange au gré des marchés.
Le marché économique de la presse s'est constitué
au fil de l'avancée des idées libérales en Europe
comme en France. Il peut, historiquement, être identifié
en 1982 avec la loi sur la liberté de communication, mais c'est
bien en 1986, avec la privatisation de TF1 qu'il devient sensiblement
visible. Désormais, nous pouvons constater qu'il n'existe plus
aujourd'hui, dans la plupart des régions de France qu'un seul
quotidien régional. Le marché des PQR n'autorisant pas
la survie de deux journaux, les citoyens doivent donc désormais
se contenter d'un quotidien. Comme le note M. JUNQUA, ancien directeur
du Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes, "les
grands quotidiens régionaux, presque toujours en situation de
monopole, privilégient le plus souvent une information locale
aseptisé et révérencieuse à l'égard
des pouvoirs en place". L'équilibre économique de la presse
française peut-elle permettre à l'un de ses représentants
d'attaquer frontalement un de ses plus importants annonceurs ?
2 - L'acception
de médias alternatifs
C'est dans ce contexte de main mise du secteur économique sur
le monde des médias qu'intervient la création de cette
presse "indépendante", tout du moins des groupes de presse habituels.
Sans pour autant être libre, puisque inscrit d'une manière
ou d'une autre dans le secteur marchand de la presse, cette nouvelle
presse tente d'imposer une information différente de celle offerte
par le quotidien dominant dans leur région.
Ainsi, nous nous associons à nos confrères québécois
pour définir cette nouvelle presse de médias alternatifs
...
Par ce terme, il faut entendre une presse qui est par nature opposée
au discours libéral, qui porte en elle une vision collectiviste.
Elle peut être associative, syndicale ou étudiante, mais
elle refusera toujours la globalisation économique américaine.
De même, mais nous y reviendrons, elle présuppose une structure
organisationnelle différente de celle des sociétés
commerciales, avec une grande liberté de ton et de décision
accordée à l'équipe rédactionnelle. De plus,
elle se doit d'être indépendante des pouvoirs politiques
et économiques en place, en gardant un contact étroit
avec le monde du bénévolat dont elle est bien souvent
issue.
Quant à son contenu, il s'avère délicat à
cerner tant ces médias alternatifs sont différents les
uns des autres. Retenons, comme plus petit dénominateur commun
qu'ils s'inscrivent tous dans une idéologie de gauche plus ou
moins marquée, sans pour autant être l'organe de presse
d'une organisation politique particulière. A ce titre, différents
titres comme le PCAHebdo en région PACA qui est un hebdomadaire
lié au P.C.F., ni "Rouge", le journal de la LCR ne peuvent prétendre
appartenir au monde de ces médias alternatifs. En fait, c'est
bien là la grande différence qui ressort entre ces nouveaux
médias et cette presse plus ancienne qui se revendique elle aussi
de "libre". Alors que ces derniers restent attachés à
une idéologie défendue par un mouvement politique, ces
nouveaux médias désirent ne pas être associés
aux organisations politiques existantes alors même qu'ils sont,
le plus souvent, très proche des idées que celles-ci défendent.
Cette situation s'explique tant par le manque de confiance que ces "acteurs
associatifs" éprouvent envers la classe politique, que par une
réelle volonté de s'inscrire dans le débat citoyen
en toute liberté de ton et de critique. Cette presse alternative
n'est pas une presse d'opinion, mais une presse qui émet ses
opinions. Voilà ce qui explique la présentation faite
à l'occasion de ce forum par le journal le Babazouk qui peut
soulever bon nombre d'objections, à savoir que "dans les sociétés
antiques, le forum était l'espace de discussion permettant de
se tenir informé de la vie de la citéÉce rôle est
dévolu aux médias". Serait-ce par erreur de jeunesse ou
par ambition démesurée que ce mensuel se présente
ainsi ? La presse, qu'elle soit écrite ou audiovisuelle n'est
que le porte voix de ce qu'il se passe dans les cités, et non
pas le lieu où se discutent et se prennent les décisions
politiques.
Alternative par l'information qu'elle présente, cette nouvelle
presse n'en est pas moins inscrite dans le marché des médias.
Ainsi, pour survivre, il lui faut trouver un financement, et pour espérer
rester indépendante, une structure organisationnelle différente
de celle des sociétés commerciales.
II
- A la recherche d'un "tout" alternatif
L'autre
point qui a fait l'objet d'un traitement approfondie au Forum de Nice
a concerné le financement de ces nouveaux médias (A) ainsi
que la nécessité de mettre à jour une nouvelle
structure juridique à même de permettre leur développement
et leur pérennisation (B).
A - Le prix
de l'existence
Le forum de Nice aura permis de s'apercevoir du rapport ambigu qu'entretiennent
les représentants de cette nouvelle presse vis-à-vis de
l'argent. Idéologiquement opposé à la marchandisation
de l'information, au pouvoir de l'argent, ils se heurtent tous à
la même question du financement. Bien qu'il soit désormais
facile de créer un journal, il reste onéreux de le publier
et de le diffuser. A titre d'exemple, le poste "édition" du Babazouk
se chiffre à 15 245 euros par an (soit environ 100.000 francs).
A ces frais incompressibles, il convient d'ajouter, les salaires des
"journalistes" et les charges sociales s'y afférant, les frais
inhérents à la rédaction, à Internet, outil
devenu indispensable à tout organe de presse. Qu'ils se soient
"professionnalisé" ou qu'il ait conservé une structure
purement associative, ces médias partagent avec les géants
de la presse les mêmes besoins de financement. C'est ainsi que
plusieurs solutions ont été présentées au
cours de ce forum, sans pour autant satisfaire pleinement l'auditoire.
1 - Le rapport
ambigu à la publicité.
Un média peut-il continuer à se présenter comme
alternatif dès lors qu'il fait appel à la publicité
pour vivre ? L'indépendance éditoriale de cette nouvelle
presse dépend de la réponse que ses responsables accordent
à cette question.
En effet, les budgets de cette presse sont si réduits, qu'un
annonceur pourrait rapidement en prendre le contrôle de manière
insidieuse. C'est pourquoi la représentante de la "Presse Jeune",
association d'aide à la création de cette nouvelle presse,
propose de faire appel aux petits commerçants de quartier plutôt
qu'aux "grosses entreprises". L'idée repose sur le fait qu'en
multipliant les "petits annonceurs", ceux-ci n'auraient finalement aucun
pouvoir sur la direction du journal. Comme l'a déclaré
benoîtement la représentante de "J-Presse", "un petit commerçant
n'a aucun intérêt à bloquer la parution d'un article
contraire à sa municipalité". Sans doute est-ce sans compter
sur l'intérêt réel pour ce petit commerçant
de ne pas se "mettre la mairie à dos". Là encore, la "jeunesse"
des représentants du monde de cette nouvelle presse et la grande
na•veté dont ils témoignent est sans commune mesure avec
les objectifs qu'ils annoncent. Nul ne peut douter qu'un journal qui
dénoncerait ouvertement les malversations d'une mairie, qui prendrait
position contre la marchandisation de notre société se
trouverait dans une quasi-impossibilité de trouver des commerçants
volontaires pour participer à cette aventure. C'est pour cette
raison que d'autres intervenants ont présenté leur volonté
de ne pas rechercher de financement par la publicité. Ils ont
ainsi présenté deux solutions différentes.
2 - La participation
aux frais
L'intervention du représentant de Zalea Tv est intéressante
puisqu'il a présenté un type de financement assurant une
réelle indépendance vis-à-vis du monde politique
et marchand.
En fait, ce financement repose sur la participation des auditeurs de
cette chaîne de télé associative que peuvent adhérer
à l'association Zalea Tv et ainsi payer une cotisation annuelle.
Tout adhérent ou sympathisant peut aussi faire acte de soutien
en adressant un don à l'association, du montant de son choix.
Cette démarche est intéressante puisque ce média
est le seul à avoir réellement tué "le dieu argent".
Comme le déclarait Sartre, il est très difficile de réaliser
pleinement son ascèse. Une fois l'existence de Dieu niée,
l'Homme se retrouvant seul, avec des doutes là où la religion
lui proposait des solutions. Zalea Tv a, quant à elle, abandonnait
de manière concrète toute ambition commerciale. Refusant
de considérer ses émissions comme des "produits marchands",
elle se refuse d'en céder les droits commerciaux de reproduction
ou de rediffusion à titre payant. Comme nous l'a précisé
son représentant, "l'ensemble des émissions diffusées
par Zalea Tv sont libres de droits, et ne peuvent faire l'objet d'un
commerce".
Cependant, cette solution ne permet pas de financer de manière
efficace l'ensemble des dépenses occasionnées par la diffusion
des chaînes audiovisuelles associatives, ou des journaux alternatifs.
3 - Proposition
d'une taxation des recettes des médias traditionnels
Afin de financer le monde alternatif ainsi que le Service Public Audiovisuel,
j'ai proposé, dans le cadre de la thèse que j'ai soutenue
à la Faculté de Droit de Nice, la création d'une
taxe assise sur les recettes publicitaires des médias privés.
Cette mesure était présentée comme le corollaire
à l'interdiction faite aux chaînes publiques de diffuser
de la publicité. Cette solution fait l'unanimité parmi
les représentants de cette nouvelle presse qui y voient la possibilité
de s'exclure du monde marchand, tout en s'assurant du financement minimal
pour continuer à exister.
A l'opposé, contrairement à ce qui a été
présenté par le représentant de Zalea Tv, nous
ne pouvons pas accepter que la redevance télé, déjà
peu élevée en France, serve à financer des associations
de droit privé, et ce pour deux raisons essentielles : les recettes
de cette taxe sont pas assez importantes pour financer correctement
le service audiovisuel public, et le financement de structure de droit
privé ne peut philosophiquement dépendre d'une contribution
obligatoire des citoyens. Cette solution doit donc être écartée
de nos réflexions tant elle apparaît comme inadaptée
à la situation.
B - Vers une
Société de Presse Non Marchande ?
Les médias alternatifs ne peuvent se constituer sous la forme
d'entreprise commerciale, au risque, à leur tour, d'être
phagocyté par le marché de la presse. C'est pourquoi la
majorité d'entre eux se sont constituer sous un statut associatif,
régit en France par la loi de 1901. Mais ce cadre légal
n'est pas adapté à ce genre d'activité.
Rappelons que l'association de type loi 1901 a pour objet de permettre
la réunion de personnes partageant un même intérêt.
En principe, une association de ce type ne vend rien, ce qui n'est finalement
pas le cas de cette presse, et surtout, idéologiquement, ne comporte
pas de salarié. Or, la plupart de ces médias alternatifs
salarient une ou plusieurs personnes, ce qui est contraire à
l'objet de la loi.
Le problème majeur provient du fait qu'en refusant d'adopter
une structure juridique traditionnelle, à savoir la Société
de Presse, soit par manque de moyen, soit par idéologie, cette
nouvelle presse est contrainte de se tourner vers le statut associatif.
Or, s'il est possible, dans un premier temps de s'en tenir à
ce statut, les difficultés légales apparaissent dès
lors que le journal devient pérenne et que l'association fonctionne
comme un organe de presse traditionnel. D'ailleurs, il n'est pas impossible
qu'un tribunal qui aurait à connaître d'un litige relatif
à ce statut requalifie de fait une association de ce type en
"société de presse", avec toutes les conséquences
que cette requalification entraînerait, à savoir les cotisations
URSSAF, l'assujettissement à l'Impôt sur les Sociétés
...
Dans cette optique, nous avons proposé la création d'une
société de Presse Non Marchande, sorte de structure hybride
réunissant tout à la fois les principes commerciaux et
associatifs.
Cette société à but non lucratif doit permettre
une création facile et non onéreuse de la structure, tout
en prenant en compte le problème du financement, et celui du
développement possible à offrir à l'organe de presse
ainsi créé.
Cette solution qui a fait l'unanimité parmi les représentants
de la presse indépendante présents au forum de Nice, ne
serait possible que s'il existait une réelle volonté politique
de la part de nos gouvernants de réfléchir à une
telle structure.
Or, la menace que constitue l'existence d'une presse ayant les moyens
financiers et juridiques de demeurer alternative est dangereuse pour
les partis politiques et ses élus qui pratiquent fort bien le
système médiatique tel qu'il existe actuellement.
Preuve en est les différents procès intentés par
les élus contre cette presse indépendante dès lors
qu'elle soulève des scandales politiques et/ou qu'elle commence
à sortir de l'intimité du milieu alternatif local.
Conclusion
Sous le prétexte
d'introduire la libre concurrence dans le secteur des médias,
le marché de la presse a été peu à peu constitué,
au fil des lois libérales successives.
Assujétties à la loi de l'offre et de la demande, les
entreprises de presse ont du s'adapter à ces nouvelles contraintes,
ce qui a entrainé une concentration économique des entreprises
existantes, et la constitution naturelle de publication en position
de monopole de fait.
Ce phénomène s'est accompagné d'une crise du politique
qui a touché de plein fouet les journaux d'opinion qui seuls
arrivaient, à leur niveau, à proposer une analyse différente
de celle imposer par les médias traditionnels. C'est dans ce
contexte particulier que les médias "alternatifs" sont apparus.
Quel que puisse être leur mode de diffusion (presse écrite,
radio, télévision, internet), ils ont tous pour objectif
premier de proposer aux citoyens une information a-commerciale, débarrassée
des contraintes économiques et des pressions politiques.
Cependant, les écueils qui se présentent à cette
nouvelle presse sont nombreux. Certains tiennent du système économique
et juridique en place, d'autres de la nature même de l'homme.
En effet, comment ne pas faire le rapprochement avec ce qui s'est passé
avec les radios libres qui se présentaient, avant leur "légalisation",
comme les tenants d'une information et d'un contenu "alternatif" par
rapport aux radios publiques alors en situation de monopole de droit.
Depuis la loi de 1982 qui met en place la liberté de communication
et qui donne à ces radios un statut juridique, elles sont toutes
devenues des radios purement commerciales, jouant pleinement le jeu
du marché économique qui les porte.
La structure étant structurante, et l'homme étant ce qu'il
est, nous ne pouvons avoir la faiblesse de penser que si le succès
économique est au rendez-vous, ces médias resteront réellement
à l'écart du mode de fonctionnement économique
du marché libéral. Qu'en sera-t-il alors du contenu et
de l'esprit pionner à l'origine même de leur création
?
Philippe
Boure Docteur en Droit des médias
Babazouk
: http://www.babazouk.net
Tél : 04 97 12 09 63 Contact: Tania
Cognée