Mouvement
de l'Immigration et des Banlieues, le 2 octobre 2001
Déclaration du MIB à propos du bilan du procès de Versailles
:
Nous sommes tous Youssef !
Une
justice à sens unique, débouchant sur un permis de tuer ! C'est
ainsi que la famille et les amis de Youssef, nous tous, avons
compris le verdict de la Cour d'assises de Versailles qui le
28 septembre 2001 a acquitté le policier Pascal Hublot, meurtrier
de Youssef Khaïf. Ce verdict a au moins le mérite de la clarté
: c'est une déclaration unilatérale de défiance à l'égard non
seulement des jeunes, mais aussi de tous les habitants du Val
Fourré à Mantes et, au-delà, de toutes les populations des cités
populaires sous état de siège policier. Pour la Cour de Versailles,
peu importe que la thèse de la "légitime défense" n'ait pas
résisté à l'épreuve des faits. La cour a admis le meurtre d'un
tir par derrière. Sa décision couvre ce meurtre en connaissance
de cause, et confirme s'il y en avait encore besoin, l'impunité
policière dans ce pays. Même pour le policier meurtrier de Habib
à Toulouse, ils n'avaient pas osé. Le tribunal correctionnel
a en septembre dernier condamné le meurtrier à trois ans avec
sursis et interdiction d'exercer dans la police. Le meurtrier
de Youssef lui, continue à exercer, aujourd'hui à la DST. Il
a même été promu par sa hiérarchie.
Certains
montrent du doigt les jurés de Versailles tirés au sort sur
les listes électorales, qui auraient décidé cet acquittement
en leur âme et conscience. C'est exonérer trop facilement l'institution
judiciaire elle-même. La responsabilité de la présidente de
la Cour et de l'avocat général, ainsi que celle de la magistrature
dans le déroulement de toute la procédure pendant plus de dix
ans, est patente : on se souviendra qu'au moment des faits,
le procureur Colleu n'avait pas jugé nécessaire d'ouvrir une
instruction, et qu'il aura fallu que la famille se porte partie
civile pour voir la justice saisie. On se souviendra du juge
Charpier qui avait délivré une ordonnance de non-lieu, évoquant
"l'état de nécessité". Et pendant toute la durée du procès,
la famille de Youssef, les témoins et le public solidaire des
parties civiles ont eu droit à l'inégalité de traitement, à
un mépris teinté d'arrogance et de racisme culturaliste. En
effet, d'un côté on nous a présenté un policier "bien de chez
nous", un fonctionnaire calme et réservé, au passé exemplaire,
sans taches. De l'autre, une multitude de remarques stigmatisantes
sur le comportement des jeunes et sur leur éducation douteuse.
Les policiers solidaires du meurtrier ont pu occuper l'essentiel
de la salle d'audience, et il aura fallu sans cesse se battre
nous, pour y avoir accès. Parmi les policiers, ceux qui ont
récemment été condamnés avec sursis pour leur responsabilité
dans la mort d'Aïssa Ihich, tué au commissariat de Mantes. Et
dehors, le quadrillage policier autour du tribunal, mais aussi
de la cité du Val Fourré, à grands renforts de CRS, de gendarmes
et de BAC, a démontré la volonté délibérée d'intimider tous
ceux qui se sont mobilisé pour que la justice soit égale pour
tous. C'est tout cela que nous appelons la hagra, ici en France.
Cette partialité de la justice, en connivence avec les pouvoirs
publics, pourtant censés représenter l'intérêt général de la
société, dans le déroulement même du procès, bafoue le principe
d'égalité de traitement. En vérité, il s'agit là d'une justice
coloniale.
Dans
son réquisitoire, l'avocat-général a bien
fait mine de saluer la mère de Youssef qui en affirmant
"j'ai peur pour les enfants des autres" a dite "une des plus
belles phrases entendues dans une cour d'assises". Il a aussi
requis dans le sens de la culpabilité de Pascal Hiblot,
évoquant un "tir d'arrêt". Mais il a aussitôt
affirmé que seuls les gendarmes sont autorisés
à tirer de la sorte. Or, en évoquant ce droit,
il va dans le sens-même d'une des principales revendications
des syndicats de policiers d'extrême-droite, celui du
droit de tuer ! Il a aussi considéré que le policier
a bien tué Youssef d'une balle dans la nuque, mais "qu'il
n'était pas en état de réfléchir
ni de penser au moment des faits". Il a ainsi repris les arguments
de la défense du policier, basé sur la confusion
de deux faits distincts : la mort malheureuse de la femme-policier
Marie-Christine Baillet, une demi-heure environ avant la mort
de Youssef. Il a lui aussi préparé les esprits
à ce que certains commentateurs ont appelé la
"légitime panique". Enfin, il a demandé une "peine
de principe avec sursis". Une "peine de principe". Mais quel
"principe"? Pour nous, il n'y a qu'un principe qui vaille, celui
de l'égalité de traitement. C'est une valeur républicaine
fondamentale, et un droit des êtres humains inaliénable.
Le jeune Saïd Lhadj a été condamné
par la Cour d'assises de Versailles, sous la houlette de la
même présidente, Mme Muller, à dix ans de
réclusion criminelle pour la mort accidentelle de la
policière Marie-Christine Baillet. Un élémentaire
souci d'équité aurait voulu que Pascal Hiblot
soit condamné avec la même vigueur. Le rappeler
sans cesse sur la place publique a fini par agacer Mme la présidente,
qui a même interrompu le réquisitoire de l'avocat
général. Le décor a ainsi été
dressé par l'institution judiciaire pour aboutir à
une décision inique : l'acquittement pur et simple.
Face
à ce déni de justice flagrant, qui a choqué bien au-delà des
personnes déjà mobilisées, nous en avons appelé à la Dignité.
L'heure n'est plus à la seule protestation émotionnelle, aux
déclarations tonitruantes ou aux réactions spontanées sans lendemain.
A l'énoncé du verdict, des policiers ont crié victoire, et ont
accompagné le meurtrier, se livrant à un rodéo nocturne toutes
sirènes hurlantes, dans les avenues de Versailles. Ces comportements
indignes constituent autant de provocations, de messages de
haine. En assumant pleinement notre appel au calme, nous avons
clairement signifié notre refus de tomber dans le piège qui
nous était tendu. En refusant l'affrontement attendu avec une
police toujours plus revencharde, en refusant la spirale d'une
violence dérisoire, nous avons tenu à affirmer l'émergence d'une
nouvelle force politique capable de faire régner le respect.
Et nous saluons tous les jeunes, et les moins jeunes, qui malgré
leur immense sentiment de frustration, ont entendu notre appel
et ont su maîtriser l'expression de leur colère. Une colère
juste, qui saura s'exprimer sur la place publique en temps et
en heure. A tous, nous disons : la justice n'est pas quitte.
Ni la police. Ni la représentation politique de ce pays : hormis
le MNR et le Front national venus soutenir bruyamment le policier
meurtrier, nous avons enregistré le silence absolu de la classe
politique dans son ensemble. Qui ne dit mot consent. On s'en
souviendra longtemps. On s'en souviendra en 2002 !
Certes,
l'affaire sera portée devant la cour européenne des droits de
l'homme, où nous nous battrons pour absence de procès équitable.
Cette nouvelle bataille sera aussi pour nous l'occasion d'internationaliser
la mobilisation, en rappelant que partout dans le monde où prévaut
la politique de la "tolérance zéro", la criminalisation de l'immigration
et des quartiers populaires, on meurt dans la rue, les commissariats
ou les prisons sous les coups de l'oppression policière.
Plus
fondamentalement, la lutte pour que justice soit faite sera
longue et difficile. Le procès de Versailles en marque une étape,
éprouvante. Mais notre mobilisation n'aura pas été vaine : elle
aura dissipé les illusions selon lesquelles on peut avoir, en
l'état, confiance dans la justice de ce pays. Elle aura permis
de renforcer notre détermination, et elle a dégagé une nouvelle
génération militante, notamment à Mantes-la-Jolie. C'est cette
génération qui a eu l'idée du serment de Versailles qui, désormais,
nous unit : en référence aux révolutionnaires français réunis
dans la salle du jeu de Paume le 20 juin 1789, nous avons fait
ce vendredi 28 septembre 2001 le serment de ne jamais nous séparer,
et de nous rassembler partout où les circonstances l'exigeront,
jusqu'à ce justice soit faite pour Youssef et tous les autres.
Mouvement
de l'Immigration et des Banlieues, le 2 octobre 2001
Pour
passer à l'action,
nous vous appelons d'ores et déjà à nous retrouver
à partir de 16h 30
le vendredi 12 octobre 2001
sur la dalle du Val Fourré à Mantes-la-Jolie (Mantes 2).
Pour
mémoire : résumé
des faits qui ont conduit au meurtre de Youssef
PAS
DE JUSTICE, PAS DE PAIX !
Rens
MIB 26
bis rue Kleber - 93 100 MONTREUIL
M¡ Croix de Chavaux - Ligne 9 (dir. Mairie de Montreuil)
Tél: 01 48 58 01 92 E-mail:
mibmib@free.fr
Le site web du MIB (Mouvement de l'Immigration et des Banlieues)
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